Un moyen de communiquer ! (Maurice Balland)
Un moyen de communiquer ! est une nouvelle pédérastique de Maurice Balland.
« Un enfant et un garçon beaux peuvent-ils servir en tant que beaux ?… Peuvent-ils servir à ce pourquoi ils sont beaux ?… Oui ?… Ils peuvent donc servir à faire l’amour ! »
Depuis sa nomination en banlieue parisienne, Gilbert profite de son après-midi chaque mercredi pour effectuer diverses courses dans les magasins et, si possible, prospecter dans les librairies où l’on peut aisément consulter les ouvrages exposés à la vente et se faire une idée des dernières nouveautés parues. Il apprécie particulièrement le complexe établi à l’emplacement des Halles, maintenant en voie d’achèvement, car il y trouve dans un espace restreint ce qu’il avait à chercher auparavant en sillonnant la capitale en tous sens.
Comblé avec du béton, le fameux trou qui a longtemps défrayé la chronique est pourvu, entre autres réalisations, d’un centre commercial très fréquenté en raison de sa facilité d’accès par le métro et le R.E.R. C’est en plus un divertissement que de circuler dans ce Forum au réseau de galeries souterraines disposées sur trois niveaux, des rues piétonnes en quelque sorte, convergeant sur une place centrale à l’air libre au niveau inférieur entourée de galeries vitrées formant comme un entonnoir renversé. Cet ensemble a grande allure malgré les critiques qui en ont été faites tant pour sa conception que pour sa décoration. Certes, entre autres particularités, les visiteurs ne manquent pas de s’interroger sur la signification du monument érigé sur la place. Quel rébus cache cet ensemble conçu par un artiste qui l’a baptisé « Pygmalion » et constitué de formes féminines en marbre blanc et rose bizarrement enchevêtrées ?
À une certaine époque, la place centrale du Forum fut le domaine de bateleurs et amuseurs de tout acabit groupant en cercle autour d’eux les badauds intéressés. La galerie du pourtour devint également une véritable cour des miracles fréquentée non de mendiants couverts d’ulcères comme la fameuse cour du moyen âge, mais de jeunes gens, garçons et filles, aux allures excentriques, punks, portant boucles d’oreilles, arborant cheveux hirsutes multicolores et blousons de cuir pointés de têtes de clous, surchargés de plaques métalliques ou de chaînes de fer reliées par des cadenas et autres singularités.
« Heureusement que tous les jeunes ne sont pas comme ceux-là ! » entend dire autour de lui Gilbert qui reconnaît le bien-fondé d’une telle réaction. Les passants, bien sûr, ne peuvent tous considérer sans broncher le spectacle frappant leurs yeux. Certains même ajoutent : « Pour sûr, il y a des drogués parmi eux !… Et ce doit être beau quand ils font la foire ensemble. Regardez ces gosses-là, à peine sortis du berceau ! » Effectivement, parmi ces jeunes, il en est qui ont tout juste dépassé quinze ans, des enfants encore !
Certes, à la vue des échantillons d’adolescents vautrés sur les marches de la galerie, Gilbert s’estime heureux de n’en pas compter de semblables parmi les élèves de l’établissement où il professe dans un secteur populeux de la banlieue à fort taux d’immigrés. Même si son collège draine un bon nombre de jeunes au caractère difficile, il n’a cependant pas à se plaindre de ceux qu’il a dans sa classe, et fait bon ménage avec eux grâce à son attitude bienveillante. « Assurément, pense-t-il, de nos jours, le métier d’enseignant est loin d’être aisé, d’autant plus qu’un climat de défiance s’est établi entre adultes et jeunes, ceux-ci ayant tendance à faire bloc en face de ceux-là enclins à la méfiance et souvent peu compréhensifs. »
Fort heureusement, différente de celle qui s’exhibe autour de la place centrale, il existe une autre jeunesse que l’on croise partout ailleurs dans le Forum et que Gilbert observe avec plus d’intérêt. Ces jeunes, il les remarque en groupes ou accompagnant leurs parents. Loin de se montrer désœuvrés et extravagants, ils s’intéressent aux vitrines, s’interpellent, rient, discutent. Ici, ils emplissent un magasin de matériel photographique, là, ils se bousculent entre des rayons de disques et de cassettes. Partout, ils comparent, estiment, achètent sans tellement hésiter, sûrs de leurs choix, à croire qu’en ce temps de crise et de chômage, ils ont, ou leurs parents, accès à la planche à billets !… Nombreux aussi, ils encombrent les librairies et marchands de journaux, fouinant, avides de connaître. Gilbert se plaît à les regarder, les garçons, bien sûr, estimant la sveltesse de l’un, la beauté des traits du visage d’un autre, le galbe des fesses de celui-ci qu’il aurait plaisir à caresser, au niveau du sexe de celui-là le rebondi laissant deviner un engin certainement appétissant !
Gilbert en observe dans l’une des plus importantes librairies du Forum. Appuyés sur les comptoirs ou assis contre les murs et dans les coins, ils dévorent force bouquins. Le magasin est mué en véritable salle de lecture où nombre de ces jeunes sont certainement accourus afin de passer agréablement leur après-midi à peu de frais et en toute tranquillité sans plus personne sur le dos, surtout pas leurs parents, pour les importuner. Gilbert a pu s’en convaincre, tandis que circulant parmi eux et ayant tenté ici ou là de placer un mot, il ne put leur faire lever le nez, sans doute par souci de ne pas gaspiller les précieuses minutes de leur lecture ou plus certainement par refus d’être dérangés et de répondre. On a beau dire et faire, une barrière est dressée, peu facile à renverser, entre les générations. Quel intérêt commun trouver, un point de départ pour un dialogue, un moyen de communiquer ?
Naturellement, c’est dans le rayon des albums de bandes dessinées que se trouve le plus de monde, enfants, adolescents, grandes personnes aussi. Il est vrai que ce genre de publication connaît une vogue croissante et passionne tous les âges au point que maintenant on en édite spécialement destinées aux adultes et qui, paradoxalement, sont recherchées par les adolescents de préférence à celles conçues pour eux.
« Tiens ! Il me semble avoir déjà vu ce garçon », note Gilbert en parvenant à l’emplacement réservé aux albums qui d’évidence ne sont pas destinés à la jeunesse. Il l’avait remarqué la semaine précédente, son regard ayant été frappé par une chevelure d’un blond filasse peu commun, un anorak rouge vif surmontant un pantalon bleu azur : « Le drapeau français à l’ordre des couleurs près », avait-il songé. Rien d’étonnant donc si à nouveau il le remarque aujourd’hui. Il s’approche de l’adolescent avec l’intention de l’examiner de plus près et, pourquoi pas, de tenter d’attirer son attention.
Le visage du garçon, à peau claire, évoque un type nordique, suédois, peut-être. Quel âge ? Seize ans à considérer sa corpulence. Néanmoins, ses traits réguliers ont encore la grâce de l’enfance avec, malgré tout, un brin de gravité dénotant un mûrissement déjà bien engagé. Comme il vient de lever les yeux de son livre et jette un regard circulaire, il montre à son observateur des yeux clairs d’un merveilleux bleu de ciel, vifs et révélateurs d’un esprit curieux, ce dont Gilbert ne peut s’étonner à voir l’album particulièrement osé que ce jeune feuillette avec grande attention, le regardant sans hâte comme s’il voulait s’en imprégner et fixer les images dans sa mémoire. Tout à coup, un homme d’âge moyen, intellectuel à lunettes, relativement bien mis, s’approche de l’adolescent. Deux mots échangés, et voilà qu’ensemble, ils se dirigent vers la sortie. « Un parent ou un ami », s’imagine Gilbert quelque peu déçu. Sans pourtant plus faire cas, il continue sa prospection puis rentre chez lui, ses achats terminés.
Le mercredi suivant, le regard de Gilbert est à nouveau alerté par le tricolore. « Tiens ! Le Suédois est encore là, et au même endroit ! » Étonné et ravi tout à la fois, il s’approche et remarque que l’adolescent consulte le même album que l’autre jour, y portant une égale attention, active et nonchalante tout ensemble, levant de temps en temps les yeux pour un regard circulaire comme s’il surveillait les parages. Vraiment pris de curiosité et désireux de percer enfin les intentions du garçon, Gilbert se met tout contre lui :
— Pardon ! Tu permets ?
Et fait mine de chercher un ouvrage dans la pile cachée par le livre que tient l’enfant en mains. Celui-ci ne paraît aucunement importuné et même adresse un large sourire gracieux au perturbateur de sa lecture qui, enhardi, montre du doigt l’ouvrage et d’un ton malicieux fait remarquer :
— C’est pas mal, ce que tu regardes là !
— Oui, c’est fortiche, répond sans sourciller le garçon.
— Ça t’intéresse rudement ! Il y a huit jours, tu lisais la même chose.
— Ah ! Et moi, je vous intéresse aussi ? rétorque avec un clin d’œil l’adolescent qui reprend son sourire avenant.
Un déclic se produit en Gilbert, la certitude d’être invité par ce jeune à poursuivre un dialogue qui assurément ne sera pas banal. Une occasion à ne pas rater ! Sans hésiter donc, il entre dans son jeu :
— Après tout, pourquoi pas ? Si on allait à la crêperie, on pourrait causer un peu.
Bientôt, les voilà attablés devant des verres de cidre et dégustant des crêpes bretonnes tandis que la conversation engagée se poursuit sans difficulté. Décontracté et pleinement disposé à s’exprimer, le garçon se révèle. Gilbert apprend que la couleur de ses cheveux provient de sa mère d’origine danoise et rencontrée par son père, du corps diplomatique, lors du séjour de celui-ci à Copenhague au début de sa carrière. Né là-bas, il est venu jeune à Paris quand son père a été muté, et ne le regrette pas car il s’y plaît. Il n’a pas de gros problèmes avec ses parents qui le laissent tranquille et lui donnent beaucoup de liberté pourvu qu’il travaille en classe dans une institution libre de la rive gauche où il poursuit ses études. « En somme, un garçon bien élevé et studieux, estime Gilbert qui encore pense : il paraît équilibré, loin d’être voyou et se distrait dans la lecture. Certes, il a des curiosités propres à son âge ! Pourtant, il ne semble pas vicieux, son regard est trop franc. Mais pourquoi donc se plaît-il à rester seul ? » À la question posée par Gilbert, le jeune répond que s’il a de bons copains, il préfère se trouver au Forum le mercredi « car, précise-t-il, c’est plus intéressant et j’y rencontre des types qui ne sont pas cons. »
— Ah ! Dans mon genre, et qui t’écoutent volontiers, réplique Gilbert qui enfin a l’intuition de ce que recherche cet adolescent.
— Oui ! répond en effet celui-ci et, avec un sourire enjôleur poursuit : Si ça vous intéresse, je connais un coin où aller.
« Qu’il est fin ! Il y a en lui l’étoffe d’un diplomate ! » se dit Gilbert émerveillé par tant d’habileté chez un jeune à peine sorti de l’enfance et qui, à mi-mots, sans rien nommer, suggérant simplement, était parvenu à exprimer un désir précis, à convaincre son interlocuteur d’y souscrire et de le suivre pour obtenir satisfaction. Par une des issues de secours, une porte « interdite au public en service normal » franchie, quelques mètres parcourus dans un couloir, mené dans un renfoncement peu visible, rassuré car « personne ne passe par là, on sera tranquilles » avait assuré son guide, Gilbert consentit aux échanges mutuels qui lui furent demandés.
Ce manège dura plusieurs mois. À peu près chaque mercredi, Gilbert retrouva le garçon qui l’attendait en feuilletant les albums et, avec lui, alla se planquer dans ce coin ignoré du Forum. Après les vacances d’été, il ne le revit plus. « Sans doute, supposa-t-il, son père a été muté à l’étranger et y a mené sa famille. À moins que Christian n’ait été placé dans un internat. » Il s’aperçut alors que s’il avait connu au moins le prénom de son partenaire, il en ignorait totalement le nom et l’adresse. Impossible donc de retrouver sa trace. Il s’en consola par la certitude de n’être pas le seul dans ce cas. N’avait-il pas remarqué, et Christian le lui confirma, que le garçon avait eu d’autres partenaires « détectés » par le même procédé. Curieusement, ces amis d’un instant s’avérèrent pour la plupart être des enseignants, sans doute parce que plus intéressés par la jeunesse ou tout simplement plus aisément libres le mercredi.
Pourquoi « lever » des adultes ? « C’est mieux qu’avec mes copains qui sont encore des gosses », avait prétexté Christian dès que Gilbert s’isola avec lui pour la première fois. Il put le croire car, âgé alors d’à peine quinze ans, il en paraissait seize et s’enorgueillissait d’attributs virils le mettant déjà en parité avec des adultes. En conséquence, son jeu sexuel perdait de sa puérilité et se présentait comme un échange à égalité. Jamais il n’exigea d’argent en contrepartie, « mes parents m’en donnent assez », déclarait-il. Loin de se prostituer, il n’avait fait qu’assouvir son ardeur juvénile sans égoïsme et dans un plaisir partagé.
Gilbert conserva le souvenir d’un garçon racé, doué de qualités de cœur et d’esprit, bien élevé, délicat, désintéressé et fut même presque fier d’avoir été admis à en partager l’intimité généreusement offerte et de façon très personnelle. Christian s’étant surtout montré avide de fellations, il en garda longtemps la sensation sur les lèvres, le souvenir d’une verge charnue lui emplissant la bouche et, par spasmes énergiques, projetant une liqueur abondante, étonnamment chaude, au goût merveilleux, qu’il aspirait goulûment tout en ayant le regard fixé sur une magnifique touffe de poils soyeux d’un blond doré du plus bel effet, tandis que son menton percutait des couilles bien pleines, fermes et arrondies. Également expert, Christian savait rendre le même service et combler d’aise tant « sucer, disait-il, est ce qu’il y a de plus chouette, et ne laisse pas de traces ! »
« Quel merveilleux et agréable garçon que j’aurais bien voulu connaître plus longuement, songea Gilbert mélancolique. Nous étions faits pour nous comprendre tant, entre nous, il existait de possibilités pour le dialogue et un moyen sûr de communiquer ! »