« Droits de l’Homme ! (Maurice Balland) » : différence entre les versions
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Dernière version du 2 janvier 2020 à 21:08
Droits de l’Homme ! est une nouvelle pédérastique de Maurice Balland.
Par un bel après-midi d’octobre, Édouard est allé se promener sur les bords de la Seine. Arrivé au parc du Champ de Mars, comme les touristes, car il y en a toujours même à cette saison, il a admiré la Tour Eiffel. Oh, il la connaît par cœur, pourrait-on dire, tant il est monté de fois au sommet avec l’un ou l’autre des garçons qu’il a connus et à qui il a fait découvrir les merveilles de Paris. Aujourd’hui il est seul et ressasse bien des souvenirs. Que de choses se sont passées depuis quelque temps et ont bouleversé son existence !
Il déambule dans le parc, se dirigeant vers l’École Militaire qui ferme la perspective opposée à la Seine. En automne le site est des plus colorés par les feuilles jaunissantes et rougissantes des arbres. L’hiver s’annonce, le temps s’écoule inexorablement. Édouard en ressent les effets. Son ardeur ne l’anime plus autant qu’autrefois. Est-il assagi ou blasé ? Il regarde les passants presque avec indifférence. Les jeunes qu’il aperçoit n’éveillent aucun désir. « Peut-on changer à ce point ? » songe-t-il.
Aux deux-tiers de son parcours il aperçoit sur la gauche, à l’extrémité d’une avenue transversale, un monument qu’il n’avait encore jamais remarqué à cet endroit. Il est vrai que cela fait au moins trois ou quatre ans qu’il n’est pas passé par là. « Quelque chose de nouveau ? » se demande-t-il. Il s’en approche et, au bord du parc, au droit de la rue de Belgrade, il découvre en effet une construction assez volumineuse en pierres blanches qui est toute récente comme le fait savoir une inscription gravée signalant qu’elle a été érigée l’année du bicentenaire de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Édouard alors ne s’étonne pas de la voir pour la première fois. Il l’examine. L’édifice, on peut l’appeler ainsi car il est de fortes proportions, ressemble à un immense parallélépipède à base carrée, deux fois plus haut que large, placé dans l’axe de l’avenue. Ses faces latérales portent diverses représentations symboliques. Des deux faces frontales, celle orientée vers le parc est précédée de deux obélisques en bronze, ainsi que de deux personnages également en bronze vêtus d’une toge à l’antique et en position d’orateurs dressés de chaque côté de l’inscription justifiant l’existence de ce monument, et celle qui est tournée vers la rue est percée d’une ouverture permettant d’entrer à l’intérieur et fermée par une porte en bronze. À regarder ce cube de pierres, Édouard éprouve une étrange impression. Ce monument a une allure particulière qui le fait ressembler à une chapelle funéraire, plutôt grande, un peu comme il y en a dans le cimetière du Père-Lachaise. Ce cénotaphe fait penser à un rite funèbre ayant accompagné la célébration du bicentenaire de la Déclaration des droits de l’homme, comme si pour les commémorer on avait voulu dans le même temps signifier qu’ils étaient vraiment peu observés, parfois inopérants, pratiquement morts malgré les apparences de sauvegarde sans cesse proclamée par les dirigeants de notre pays supposé état de droit. Édouard trouve très d’actualité une telle façon de symboliser ce qu’est devenue la fameuse Déclaration. Il sut plus tard, renseignements pris, que l’intention de l’artiste auteur du monument avait effectivement été de faire un mausolée qui, dans son esprit, « rappellerait les holocaustes qui ont jalonné les révolutions successives… et les hécatombes provoquées par les luttes pour la liberté et les droits de l’homme ». Les libertés fondamentales et les droits innés, certes furent difficiles à conquérir. Mais, maintenant encore, leur existence ne reste-t-elle pas mise en péril en raison de certaines mœurs politiques et de notre organisation sociale ? Édouard aurait son mot à dire au sujet du respect des droits de l’homme.
Pour l’instant, il est devant ce monument. Non loin, il y a des bancs où sont assises plusieurs personnes dans l’ensemble âgées venues là sans doute pour profiter un peu du soleil d’arrière-saison. Édouard s’assied. Il est seul sur son siège et regarde autour de lui. Peu de jeunesse dans cet endroit qui n’est pas une zone de jeux du parc. Il ne peut espérer qu’un garçon vienne se placer à côté de lui comme cela lui arriva dans un autre jardin parisien. Il s’en souvient comme si c’était d’hier, et d’autant plus que la suite des événements bouleversa son existence.
Il était allé, il y a de cela près de cinq ans, dans un square où venaient souvent à la sortie des classes des élèves d’un lycée proche pour y jouer, discuter ensemble, se distraire avant de retourner chez eux. Ce jour-là, il était seul sur un banc quand un garçon passa à proximité. Blond, au visage ouvert, apparemment franc, il lui plut et il lui adressa un sourire. Aussitôt ce jeune vint s’asseoir à côté de lui puis, sans attendre, engagea la conversation en lui demandant l’heure. Puisque vraisemblablement il sortait de classe, il ne devait pas l’ignorer, mais il prétexta qu’il s’était attardé avec des copains et qu’il désirait savoir de combien de temps il disposait réellement avant de retourner chez lui. Il avait bien une montre, mais elle s’était arrêtée dans l’après-midi et il n’avait pu encore la remettre à l’heure exacte. Arguments tous valables qu’Édouard se garda de critiquer, heureux qu’un garçon ait répondu à son sourire et lui ait montré quelque intérêt. Le dialogue s’étant poursuivi, rapidement Édouard comprit que ce jeune de quatorze ans qui se prénomma Richard était certainement intéressé, mais autrement. Il semblait riche d’imagination et surtout avide des plaisirs de la vie. Également, il ne fallut pas longtemps au garçon pour sentir qu’il pourrait proposer à son interlocuteur de le suivre dans le parking aménagé sous le square.
Ayant descendu ensemble au plus bas niveau du parc-autos où l’on risque le moins de rencontrer quelqu’un, protégés des regards derrière un véhicule et dans un coin aussi sombre que possible, ils se dévoilèrent leurs attraits respectifs. Richard, riche déjà d’expériences n’était pas à son coup d’essai et Édouard n’eut qu’à le laisser guider la manœuvre. Ce jeune bien avancé dans sa puberté, doué d’un appareillage déjà de belle envergure, mit son partenaire dans l’admiration. Ce fut comme un challenge à savoir qui des deux jouirait davantage et produirait le plus de liquide viril.
Édouard et Richard tout occupés à se satisfaire mutuellement ne virent pas s’approcher deux hommes qui, à l’improviste, leur demandèrent leurs papiers. C’étaient des inspecteurs en civil de la brigade des mœurs qui depuis un certain temps surveillaient les parages et avaient remarqué le manège du jeune Richard essayant d’aborder des adultes sur le boulevard voisin non loin du lycée. Pris en flagrant délit, les deux partenaires ne purent qu’obtempérer puis furent conduits au commissariat du quartier.
C’est alors que commença le calvaire d’Édouard. Devenu un « individu » dans le langage des policiers, on ne le prit plus en considération. Tout ce qu’il avait été, ce que jusqu’à présent il avait accompli ou réalisé fut compté pour rien. Il n’était plus qu’un pédé, un être des plus méprisables ! Menottes aux poignets, il fut traité de façon pire qu’un vulgaire malfaiteur. Garde à vue, interrogatoire, perquisition à son domicile, inculpation. Rien ne lui fut épargné. Les garçons qu’il avait connus et ceux qui présentement étaient en relation avec lui furent interrogés. Leurs parents alertés et mis en demeure de porter plainte contre un ami qu’ils estimaient. On leur fit même grief de reconnaître l’influence salutaire exercée par Édouard sur leurs enfants. Un pédé ne peut être que pervers, leur a-t-on dit, et c’était rendre service à la société que de l’avoir arrêté et remis entre les mains de la justice afin de l’empêcher de nuire à l’avenir. Le juge d’instruction ne se priva pas d’exercer son rôle de gardien de la sécurité publique et le mit en prison préventive en attendant de le faire passer en jugement.
Tout basculait pour Édouard. À son lieu de travail, l’enquête policière loin d’être discrète provoqua l’étonnement. Retrouverait-il son emploi ? Rien ne lui fut moins sûr et il risquait de se trouver au chômage au sortir de la prison. Par ailleurs, l’enquête auprès de son gardien d’immeuble et de ses voisins lui rendrait difficile le retour à son domicile. Comment rester dans le quartier après tant de suspicions sur son compte ? Garderait-il aussi le droit à son logement après une absence de plusieurs mois, voire de plusieurs années ? Combien de temps d’ailleurs resterait-il en prison en attente de son procès ? Son avocat lui avait dit que le juge d’instruction, homme méticuleux et précis, ne se hâtait jamais dans les affaires qui lui étaient confiées. Par ailleurs, Édouard ayant enfreint la loi ne pouvait que s’attendre à être condamné sévèrement car on ne badine pas avec le genre de délit pour lequel il est inculpé.
Oui, il avait enfreint la loi. C’est là que tout réside. Édouard assis devant le monument du parc du Champ de Mars se souvient des articles de la Déclaration des droits de l’homme stipulant que la loi est l’expression de la volonté générale et qu’elle est instituée dans le but d’interdire les actions nuisibles à la société. Il suffit aux citoyens de s’entendre et de déclarer par le truchement du législateur la nocivité de telle ou telle action, puis dans un état de droit comme le nôtre on rejettera de la société ceux qui ne respecteront pas le verdict populaire. Le délinquant — ainsi nommé pour ne pas avoir observé la loi, voire appelé criminel — de par la Déclaration perd ses droits à la liberté, à l’honneur, sinon à la vie lorsque subsiste la peine de mort.
Sommes-nous vraiment libres ? On lit dans la Déclaration : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. Ainsi l’exercice des droits naturels à chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que la loi. » Et voilà comment, de par la loi, il n’était pas permis à Édouard d’aimer la jeunesse, du moins d’une certaine façon que n’admet pas la loi. Celle-ci ayant mis des « bornes », que lui, autant que le garçon, Richard, âgé alors seulement de quatorze ans, s’étaient vus contraints de respecter. La loi ne reconnaît pas à l’enfant d’exercer certains droits naturels avant une limite d’âge déterminée, c’est la borne fixée par la loi, c’est-à-dire par le législateur, cet ensemble d’hommes élus par la Nation et qui se croient investis du droit de juger la valeur morale des actes de chacun, et cela, en outre, en fonction des fluctuations de l’opinion générale en un temps donné dans un pays déterminé ! Et l’on peut encore dire comme l’écrivait Pascal : « Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà » (Pensées, 294).
Renseignements pris, Édouard sut que Richard avait été mis en foyer de rééducation jusqu’à sa majorité. Il dut apprendre à user de son corps selon les normes communes, toute autre façon d’agir n’étant pas agréée par la société et sanctionnée par la loi. Sans doute, lui fallut-il attendre ses dix-huit ans pour se permettre ce qui est toléré aux adultes et interdit aux mineurs. Et encore ! Si alors il éprouvait le désir d’imiter Édouard et s’il lui arrivait d’être poussé de même à chercher des jeunes semblables à ce qu’il fut, il lui serait impossible de se satisfaire ainsi et tomberait à son tour sous le coup des rigueurs de la loi. Autrement dit, la Déclaration promulguée pour sauvegarder les libertés n’a fait que les restreindre.
Depuis qu’il a purgé sa peine de prison, Édouard se sent un citoyen de seconde zone. Étant fonctionnaire, il ne put retrouver son emploi et dut chercher du travail. Ce ne lui fut pas facile. D’avoir fait de la prison, après tout ne constitua pas un tellement grand handicap. Mais le motif de sa condamnation fit de lui une sorte de paria, un être étrange et dangereux, aux mœurs peu communes, dont a priori on ne pouvait que se méfier. Si la loi l’a sanctionné pour un tel motif, c’est donc qu’il n’est pas normal d’avoir des mœurs singulières. Comment peut-on prétendre, de nos jours, ne pas penser comme tout le monde, avoir des opinions même sur le sexe qui ne soient pas celles tolérées par la société et reconnues par la loi, du moins en ce que, comme le dit la Déclaration des droits de l’homme : « Tout ce qui n’est pas défendu par la loi ne peut être empêché. » Édouard regarde le monument-mausolée. Un autre article de la Déclaration lui revient en mémoire : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi. » C’est bien cela, c’est la loi qui détermine et limite l’amplitude de la pensée, permet certaines opinions et condamne d’autres. Tout cela soi-disant pour sauvegarder les libertés dites fondamentales. « De qui se moque-t-on ? » songe Édouard. La plaisanterie serait après tout anodine si les conséquences n’en étaient pas parfois dramatiques, et il en faisait l’expérience.
Un garçon passa devant lui, il fut tenté de lui adresser un sourire, mais il se retint. L’enfant le regarda avec une certaine insistance, puis sembla déçu que l’homme assis sur le banc n’ait pas paru faire attention à lui. Avait-il espéré une invite ? Édouard se souvint que dans le parc il y avait non loin de là un endroit où se tenir à l’abri des regards et qu’une fois il y avait mené un garçon… Mais aujourd’hui, la loi le bridait, elle l’avait vaincu dans le souci de sauvegarder l’ordre public. Protégeait-elle ce jeune ? À tout le moins elle mettait un écran entre les êtres et rendait impossible à toute étincelle de jaillir entre eux comme signe révélateur d’un courant positif porteur d’amitié et, pourquoi pas, générateur d’amour !