Ce n’est pas dans l’ordre ! (Maurice Balland)

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Ce n’est pas dans l’ordre ! est une nouvelle pédérastique de Maurice Balland.





CE N’EST PAS DANS L’ORDRE !



« Tout notre vain pouvoir n’a pouvoir sur l’amour. »

Béroalde



— Non ! je ne regrette rien. Plus on butera de flics, plus je serai heureux. Ils m’ont fait trop de mal !

— Allons ! Calmez vos ressentiments. Soyez raisonnable. Ça ne changera rien !

— Ah ! Vous croyez que rien n’a changé pour moi quand ils ont piétiné Max ?

Le visage aux traits durs, fermé, têtu, Jean-Paul, une fois encore, a jeté, d’une voix rauque, la même réponse à son visiteur. Celui-ci, sans se décourager, vient chaque semaine à la prison voir ce jeune détenu qu’il a pris en amitié avec l’espoir d’en percer la carapace afin de lui toucher le cœur et l’amener à de meilleurs sentiments.

Tâche difficile ! Le garçon, on peut toujours le considérer tel ce jeune de dix-neuf ans qui, bien que parvenu à l’âge adulte, est resté sous le coup du bouleversement ayant marqué son adolescence et réagit encore comme il le fit à ses quatorze ans, le garçon donc ne veut rien entendre et découragerait tout autre que Monsieur Paulin, homme bon rendu doucement opiniâtre par l’âge et l’expérience de la vie.

— Je suis allé voir vos parents.

Le visage de Jean-Paul se durcit davantage. Un rictus amer sur les lèvres, il éclate :

— Pour quoi faire encore ? Ils n’ont pu que répéter la même rengaine, leurs conneries. S’ils avaient compris, eux, je ne serais pas ici !

Le visiteur pousse un soupir et pose sa main sur le bras du jeune homme pour exprimer que lui au contraire, comprend bien, du moins il le pense. Oui, en effet, il entend le même refrain chaque fois qu’il va chez les parents de Jean-Paul et tente de les rapprocher de leur fils. À les entendre, celui-ci a été détourné par Maxime Levain qu’ils considéraient pourtant comme un ami de la famille et « ce type a abusé de notre confiance ». À tout prendre, ils éprouvent moins de ressentiment pour cet homme qu’envers leur fils : « Songez que Jean-Paul n’a tenu aucun compte de nos mises en garde contre les salauds qui pourrissent les gosses. S’il nous avait avertis à temps, on aurait pu le protéger contre les manœuvres de cet ignoble individu. Tout ce qui lui arrive est de sa faute, tant pis pour lui ! » Selon eux donc, quand Max a été appréhendé, il était trop tard et Jean-Paul ne pouvait que devenir un voyou.

Monsieur Paulin s’efforce de justifier les parents de son jeune protégé. Avant de le quitter, il conclut :

— Je les comprends. Ils n’ont jamais admis que vous ayez pu estimer ce Levain et lui faire confiance plus qu’à eux-mêmes. Ce n’était pas dans l’ordre normal des choses !


Son visiteur parti, le détenu quitte le parloir et retourne à sa cellule. Plus seul que jamais, le poids de la prison lui pesant sur les épaules, il traîne les pieds. Un surveillant le rappelle à l’ordre :

— Allons ! Sortez les mains de vos poches. Fermez votre veste et marchez plus vite sans traîner les pieds. Allez ! Plus vite que ça. Dépêchez-vous de monter l’escalier !

Un mauvais éclair jaillit dans l’œil sournois de Jean-Paul. Mais, parvenant à dominer sa rancune, il jette un regard indifférent au maton : « Lui non plus ne peut pas comprendre. Ce n’est d’ailleurs pas son rôle, il ne sait que contraindre, lui aussi, estime-t-il, n’est qu’un gardien de l’ordre ! »

Parvenu dans sa cellule, désemparé, il n’a goût à rien. La visite, loin de le réconforter, lui a chaviré le cœur. Il n’éprouve aucune envie de lire, encore moins d’écouter la radio. Il n’occupera pas davantage le temps à fumer comme le font la plupart des détenus qui s’intoxiquent pour oublier. Il n’a d’ailleurs pas de cigarettes puisque, à l’exemple de Max, il n’en a jamais grillé et ne le fera pas : sa seule fidélité qui reste envers son ami, son amour, dont il fut arraché avec tant de violence.

Ah ! Ce jour où c’est arrivé est fixé dans sa tête : son cœur mis à vif, cette plaie n’a pu se refermer, un rien la ravive. Elle saigne à nouveau à la suite de cette conversation avec le visiteur. Monsieur Paulin, aimable et bien intentionné n’a pu que remuer les décombres de son amour ruiné.

Jean-Paul s’est jeté sur le lit. Allongé de dos, le regard dans le vague, voilà que semblent se projeter au plafond les scènes vécues au commissariat quand son amour a été piétiné. L’enquêteur qui l’interroge et tape à la machine questions et réponses s’efforce de se montrer paternel. Attitude qui exaspère l’enfant. Il la ressent comme une moquerie : comment, en effet, à quatorze ans, peut-on « s’amuser » avec un adulte comme on le ferait avec un copain de son âge ? lui est-il demandé. « Il n’y a pas que ça, pense Jean-Paul devant le visage incrédule du commissaire. Avec Max on s’aime, entre copains on ne s’aimerait pas c’est toute la différence ! » Que va-t-il répondre au flic ? Celui-ci attend, s’impatiente, insiste :

— C’est lui qui t’a poussé à ces actes ?

« On l’a voulu tous les deux dès que je l’ai désiré », a conscience le garçon qui répond :

— Non !

Le commissaire sursaute. Un rictus en guise de sourire, il tape à nouveau à la machine et motive son texte :

— Ça ne se peut pas. J’écris que tu as été sollicité par l’individu en question et que tu n’as pas refusé comme tu aurais dû parce que tu avais peur. Tu n’as pas osé avertir tes parents par crainte d’être grondé…

— Mais, non ! s’insurge Jean-Paul.

— Comment ! explose l’enquêteur en roulant de gros yeux. On sait mieux que toi comment ça a dû se passer. Les salauds qui tripotent les gosses sont tous les mêmes et prétendent que les gamins se laissent faire, ne désirent que ça et le leur ont demandé. Ce n’est pas dans l’ordre normal des choses !

Entendre traiter Max de salaud ! Jean-Paul n’a pu le supporter. Pourquoi aussi s’obstiner à prétendre que la relation avec son ami n’est pas normale ? Il se souvient comment leur amitié a pris naissance. Étant alors en classe de sixième, il n’arrivait pas à suivre, ne pouvant se faire à des méthodes de travail différentes de celles qu’il avait connues en cours primaire. Ses parents lui reprochaient âprement sa « paresse », ne comprenant pas la raison de son échec scolaire. Un jour, Max venu à la maison a proposé de l’aider. Il est alors allé régulièrement faire certains de ses devoirs chez celui qui apparut comme son sauveur. Naturellement s’établit entre eux une amitié qui bientôt fit place à de l’intimité. Allez voir comment ils en sont parvenus à des caresses mutuelles ! « Ça s’est fait tout seul » a beau répéter Jean-Paul à qui le lui demande. Pourquoi n’a-t-il pas réagi ? Réagir ! Vraiment ça ne va pas dans la tête de ceux qui lui posent une telle question ! Voyons ! Puisqu’il était heureux chaque fois qu’il était en compagnie de Max et, grâce à lui, obtenait de meilleurs résultats scolaires, donnait satisfaction à ses parents et avait enfin la paix à la maison.

Assurément, il s’est plu en compagnie de Max duquel il recevait ce que, évidemment, il n’aurait pu espérer de son père. Et pourtant, en toute conscience, il peut affirmer n’avoir jamais pensé à mal en cela, ni trouvé déplacé ce genre de relation avec un adulte de l’âge de son père. Ce lui parut tellement naturel, une manière toute simple de prouver son absolue confiance en celui qui lui ouvrait l’esprit sur une foule de sujets tant il était instruit, bien plus que ses parents : comment n’aurait-il pas été en admiration devant lui ? Une idole en quelque sorte !

Et puis, un jour, crac ! Ses parents convoqués par la police à la suite de l’arrestation de Max et découvrant « les agissements de cet individu avec leur fils ». Il se souvient de la raclée que lui administra son père : ses parents vexés ne pouvant admettre que leur fils ait fait confiance à « l’autre » plus qu’à eux-mêmes.

— Tu ne vas pas nous faire croire que s’il a fait « ça » avec toi, c’est que tu l’as bien voulu et même, que tu le lui as demandé. Non ! C’est un salaud ! C’est tout ! Je n’aurais jamais pensé que mon fils se serait laissé enculer pas un pédé ! Tu n’as pas honte de t’être laissé faire comme ça !

Jean-Paul n’en peut croire ses oreilles. Il tape du pied et réplique vivement :

— Mais, papa, c’est pas ce qu’on a fait. Max n’est pas un pédé.

— Tais-toi, reprend le père rouge de colère, tu n’es qu’un menteur ! On sait bien ce que vous avez pu faire. Avec des salauds pareils, ce ne peut pas être autrement…

Comment s’expliquer ? Faire admettre que « ça » n’est pas le plus important, qu’il existe avant tout leur amitié, la confiance mutuelle, le bénéfice qu’ils en tirent tant dans leur esprit que leur cœur, tout un ensemble vécu qu’on ne peut totalement décrire. Bien sûr, ils se branlaient ensemble, Max lui suçait la pine, mais c’étaient des caresses confortant leur amitié, un peu comme entre mari et femme. Pourquoi ce qui est permis à ses parents ne le serait pas entre lui et Max ? Il faut être borné pour ne pas comprendre ça ! Personne n’a voulu le croire, ni ses parents, ni les flics, ni aucun autre, tous ont récusé ce qui aux yeux de chacun n’est pas « normal », pas dans « l’ordre ». On n’a vu que « ça », et Max est allé en prison. Plus jamais il ne l’a revu et pas davantage il n’a su ce qu’il était devenu.


Un grincement de serrure, la porte de la cellule s’ouvre.

— Amelin ! Parloir des avocats. Dépêchez-vous !

Le ton sec ramène Jean-Paul à la réalité : « Ah ! Lui aussi, que va-t-il me dire encore ? Que je ne l’aide pas beaucoup avec ma façon de voir les choses. Je n’y peux rien, c’est la vérité, et pourtant, personne ne veut l’accepter. »

— Alors, cher ami, comment ça va ?

L’avocat s’efforce de prendre un ton enjoué, mais la cause est difficilement défendable. Songez donc, avoir causé la mort d’un policier et n’en pas montrer de repentir, au contraire ! Jean-Paul remarque l’anxiété de Maître Arnaud quand celui-ci, le visage crispé dit :

— J’ai eu communication du rapport des experts.

Et d’expliquer comment le psychologue et le psychiatre ont été amenés à conclure que son client est un faible et n’a pas de caractère, à preuve la façon dont à l’époque de sa puberté il s’est laissé pervertir par un individu qui d’ailleurs a été condamné à la prison. « Ils sont formels, conclut l’avocat, la rencontre de ce Levain vous a traumatisé et vous êtes devenu un voyou malgré les soins pris par vos parents pour bien vous élever. »

Jean-Paul n’arrive pas à comprendre. Rien de tout cela ne correspond à ce qu’il a essayé d’expliquer tant les spécialistes se sont évertués à établir des conclusions conformes à ce qui est censé être l’ordre normal des choses. Assis devant l’avocat qui lui parle, il n’écoute pas. Les yeux fixés sur lui, il ne le regarde même plus. Son visage à nouveau se ferme, les images du passé remontent en sa mémoire et refoulent le visiteur : la réalité repousse la fiction…

Il revoit à quel point il fut heureux durant les trois années qu’il fréquenta Max. Les désirs de sa nature satisfaits dans une amitié aussi intime que profonde lui assuraient l’harmonie du corps, de l’esprit et du cœur par laquelle il surmontait les difficultés propres à l’adolescence. Ses parents ne tarissaient pas d’éloge pour « l’ami de la famille exerçant une si bonne influence sur leur garçon » et ne savaient comment le remercier. Et puis, patatras ! Cette connerie ; son désir d’être fixé à poil en diverses poses plutôt osées et la pellicule portée à développer par Max chez un photographe qui alerta la police. L’enquête. Ses parents vexés, outrés, qui, subitement, rejettent, haïssent le « salaud que l’on avait tenu pour un ami de la famille ».

Jean-Paul en éprouva un tel ressentiment que d’abord devenu insupportable à la maison, il ne travailla plus en classe, puis s’acoquina avec des bandes suspectes du quartier et en vint à haïr la société et ceux qui la représentent. Devenu marginal, agrégé à des éléments douteux, participant à des entreprises louches, il se trouva impliqué dans une triste affaire où malheureusement un policier fut tué.

Ah, non ! Jamais il n’a admis et jamais non plus on ne l’amènera à l’idée que son ami fut la cause de ce qui est arrivé. Ce n’est pas de fréquenter Max qui l’a traumatisé et conduit à devenir un voyou comme on s’obstine à le prétendre. Le traumatisme s’est produit le jour où il a été arraché à Max, que leur affection a été brisée, méconnue, rejetée, foulée aux pieds. Par réaction, il est devenu ce que maintenant on lui reproche.

Maître Arnaud range ses papiers dans son attaché-case, puis essaye de se montrer rassurant :

— Si je n’y suis pas obligé, je ne ferai pas allusion à tout cela. Ce n’est pas essentiel. Et puis, nous n’avons pas intérêt à laisser penser que vous pourriez être homosexuel. Il vaut mieux ne pas insister sur ce qui heurte l’opinion et que la plupart des gens ne considèrent pas comme normal.

Sortant de son absence, Jean-Paul à nouveau fixe l’avocat de ses yeux. Que répondre ?

« Hélas ! pense-t-il, la façon dont Max et moi nous nous sommes aimés ne fut pas dans l’ordre. Par contre, il est normal que je sois devenu un voyou… Que faire à cela ?… »

Son regard quitte le visage de l’homme de Loi et glisse vers la fenêtre située en arrière et munie de barreaux : « Ah, songe le détenu en poussant un soupir, la société maintenant se venge. Elle ne peut que briser mon corps, je reste libre de conserver en mon cœur le souvenir de Max et de lui garder mon estime, quoi qu’il arrive ! »

Décrispant ses lèvres, il remercie l’avocat puis, d’un ton neutre, acquiesce d’avance à son action :

— Faites comme bon vous semblera.

Faisant un geste de sa main pour exprimer son indifférence devant ce qui lui paraît une fatalité, il dit pour terminer :

— Au point où j’en suis… !


« L’amour des garçons était si commun à Rome qu’on ne s’avisait pas de punir cette fadaise dans laquelle tout le monde donnait tête baissée. »

Voltaire (1694-1778)
Dictionnaire philosophique


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Table des matières
LEÇONS PARTICULIÈRES
nouvelles
 
LES DEUX COPAINS
nouvelles
Deuxième série
   
Leçons particulières Les deux copains
Ne suis pas n’importe qui !… Vous reviendrez demain ?
L’apprenti Un papa heureux !
C’est vraiment mieux ! Manoel
Enfant de cœur ! Le laveur de pare-brise
Sortis du tunnel ! Dominique
Droits de l’Homme ! Le gars de la colonie
Chassé-croisé Un moyen de communiquer !
Mon maître Les Buttes-Chaumont
Le boulevard nous sépare… On a commencé par la queue !
Le garçon dans la nuit Vacances en Angleterre
La fugue Je ressemble à papa !
Le camp de jeunesse Au musée
La Villette L’Espagnol
La relève Ce n’est pas dans l’ordre !

Voir aussi

Articles connexes