La pédophilie en question (texte intégral) – III-04 c

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UN PIONNIER : HAJO ORTIL



C’est en 1957 que le député Van Rijckevorsel (du Parti Populaire Catholique) interrogea le ministre de la Justice sur la diffusion aux Pays-Bas d’une brochure qu’il estimait scandaleuse : Hundert nackte Wilde (Cent sauvages nus), avec des photos et un texte de Hajo Ortil. Cette brochure était pleine d’images de garçons complètement nus, photographiés seuls ou s’ébattant ensemble librement dans la nature. Le ministre fit ouvrir une enquête.

La section des « Délits spéciaux » rédigea un rapport, selon lequel aucune des images ne permettait de déceler la moindre trace de sensualité ou d’érotisme : c’étaient tout simplement des garçons nus, peu avant ou peu après leur puberté. Dans sa réponse au député scandalisé, le ministre rappela un arrêt de la Cour de Cassation de 1927, aux termes duquel la représentation de la nudité masculine ou féminine, y compris de face, n’est pas en soi « contraire aux bonnes mœurs », et peut donc être diffusée librement. « Mais ce livre est acheté tout spécialement par les homosexuels », s’écria Van Rijckevorsel, indigné. À quoi le ministre lui répondit très justement : « Et alors, qu’est-ce que cela y change ? »

J’avais moi-même commandé ce livre en Allemagne dès sa parution, et j’étais enthousiasmé. L’amoureux des jeunes garçons de 1984, qui peut trouver dans presque tous les sex-shops des images de garçons séduisants à foison, a bien du mal à imaginer ce que ce petit livre signifiait dans les années cinquante. Parfois, dans une revue naturiste, parmi d’innombrables beautés féminines, on trouvait çà et là un garçon nu, mais la règle voulait qu’il y eût toujours une main, une jambe ou une branche d’arbre qui, « par hasard », soustrayait aux regards ses parties sexuelles. Rien ne pouvait faire pressentir que l’on avait affaire à l’un des êtres les plus « sexy » de la Création.

Dans l’introduction de sa brochure, Hajo Ortil parlait du groupe de jeunes qu’il avait créé après la guerre, les « Pirates Hanséatiques », des garçons et des filles de douze à dix-huit ans, originaires de la ville hanséatique de Brême, qui partaient en expédition avec leurs canots et qui se dépouillaient de leurs vêtements chaque fois que c’était possible. Une nuit, les garçons étaient venus le trouver sous sa tente, lui reprochant de photographier surtout des filles et de ne prendre d’eux que des photos très conventionnelles. Sous la menace des tortures les plus terribles, comme de verser sur lui des seaux d’eau froide pendant son sommeil, ils lui avaient arraché la promesse de leur consacrer à eux seuls un volume de ses récits de leurs aventures. De plus, ils exigeaient d’y figurer entiers, tels que la nature les avait faits, en mettant bien en évidence cette partie de leur corps dont ils étaient si fiers et qui faisait d’eux des garçons.

C’est ainsi, s’il faut en croire Hajo Ortil, que ce petit livre était né. Il eut immédiatement un grand succès, y compris aux Pays-Bas, grâce à la publicité que Van Rijckevorsel lui avait faite. Il exerça aussi une influence sur les autres revues naturistes, qui comprirent la leçon et présentèrent désormais davantage de garçons. À cette époque, l’Allemagne avait des années d’avance sur les Pays-Bas en matière de naturisme.

La première fois que je fis la connaissance de Hajo en chair et en os, amené chez lui par un ami commun, il m’invita à assister à une conférence qu’il donnait ce soir-là sur sa dernière expédition avec les Pirates, devant les parents et les élèves du lycée où il enseignait. Devant une salle comble, ce petit homme corpulent raconta diverses aventures passionnantes et amusantes de son groupe, illustrant son récit par une projection de diapositives. On pouvait voir sur l’écran, complètement nue et plus grande que nature, une jeune fille de seize ans environ. Et Hajo de commenter : « Ceci, c’est Edeltraut. Est-elle dans la salle ? » « Jawohl », fut la réponse. Et elle se leva aussitôt pour se présenter, la fille du bourgmestre.

Deux garçons de quinze ans aidaient Hajo en lui tendant les chargeurs de dias et en les rangeant ensuite, et eux aussi apparurent sur l’écran dans toute la splendeur de leur nudité. J’étais muet d’étonnement. Il était en effet impensable, dans une école des Pays-Bas d’alors, qu’un professeur montrât de telles photos de ses élèves à leurs condisciples et à leurs parents. Les Allemands étaient à ce point de vue beaucoup plus libres. Et le fait qu’aucun de ces parents ne fit jamais la moindre objection à ce que des photos de nu de leur fils ou de leur fille parussent la même année encore dans des brochures, dénotait une tout autre attitude de leur part.

Hajo souhaitait que les jeunes participant à son groupe apprennent à ne plus avoir honte, non seulement de leur corps nu, mais également de ses besoins sexuels et de leur satisfaction, en solitaire ou avec d’autres. Il accueillait les jeunes filles parmi les Pirates, afin de rendre les expéditions plus attrayantes pour les garçons. En outre, ces garçons savaient qu’en sa présence ils pouvaient parler librement de leurs désirs et de leurs activités sexuelles, et que chez lui ils pouvaient trouver des ouvrages d’éducation sexuelle de toutes sortes, ainsi que des gravures d’art érotique et les images qu’ils aimaient regarder pour se masturber.

Comme professeur, il dirigea un jour un voyage scolaire avec une classe de garçons de treize ans environ. Le soir, comme il bavardait avec ses collègues dans le jardin de l’auberge de jeunesse, le « père aubergiste » lui demanda de mettre fin au formidable chahut que son groupe avait déchaîné dans le dortoir. Hajo se précipita à l’étage et ouvrit la porte sans crier gare. « Es war ein geradezu paradiesischer Anblick », me confia-t-il par la suite : c’était un tableau vraiment paradisiaque, ces trente garçons nus qui se poursuivaient, s’étreignaient et se livraient à des jeux sexuels entre eux.

Consternation générale à son apparition imprévue. Il les gronda sévèrement pour le bruit qu’ils faisaient, empêchant les autres groupes de dormir, ordonna à chacun de se mettre au lit et de rester silencieux. Puis il sortit du dortoir. Quelques jours plus tard, l’un de ces garçons se promenait avec lui. « Vous savez ce que nous avons trouvé merveilleux ce soir-là ? C’est que vous nous avez grondés pour le chahut et que vous n’avez pas dit un mot pour le reste. » Ce reste, la sexualité, qui est toujours quelque chose de si terrible aux yeux des adultes ! Mais pas pour cet adulte-là. Pour Hajo, la sexualité faisait partie de l’essence même des enfants et était pour eux un plaisir sain et naturel. Cette attitude exceptionnelle lui valait leur confiance et leur attachement. Auprès de lui, ils se sentaient eux-mêmes, entiers.

Pour lui, la sexualité faisait partie de l’éducation. Un garçon de Berlin, âgé de quinze ans, avait fait avec les Pirates un voyage de vacances vers une île grecque, puis était venu loger une semaine chez Hajo à Brême. Hajo le trouva très silencieux et abattu. La raison lui en fut révélée au cours d’une conversation intime : Karl avait surpris son père, qu’il avait toujours beaucoup aimé, faisant l’amour avec un autre homme, et cela l’avait profondément choqué et rempli de dégoût. Hajo écouta ce récit sans faire beaucoup de commentaires.

Le soir, alors que son hôte était à la salle de bains, Hajo alla se coucher dans le lit de Karl. « Qu’est-ce que vous faites là ? » demanda le garçon ébahi en sortant de la salle de bains. « Il y a ici assez de place pour deux », répondit Hajo sans autre explication. Dès que Karl se fut couché auprès de lui, Hajo commença à le caresser doucement, et une forte proéminence dans son pantalon de pyjama révéla bientôt comment le garçon réagissait. Au bout de quelques minutes, celui-ci murmura : « Est-ce que ce ne serait pas mieux si on ôtait nos pyjamas ? » C’est ce qu’ils firent, et Hajo le caressa jusqu’à l’orgasme.

Pas un mot n’avait été échangé sur ces plaisirs, et le lendemain soir, Hajo alla se coucher comme de coutume dans sa propre chambre. Mais Karl vint bientôt frapper à sa porte. Il s’était déjà dépouillé de son pyjama. « Pourquoi est-ce qu’on ne ferait pas ce soir comme hier ? », demanda-t-il. Et cela continua ainsi toute la semaine. C’était toujours Karl qui demandait de recommencer. Le dernier jour, Hajo lui demanda : « Tu vois maintenant combien la sexualité est une belle chose entre amis, et comment on peut en tirer de profondes jouissances. Pourquoi ton père ne pourrait-il pas connaître lui aussi ce plaisir ? N’était-ce pas merveilleux, ce que nous avons fait ensemble au lit ? » Karl dut admettre que oui, et le résultat de cette « séduction pédagogique » fut que le garçon se réconcilia avec son père.

Les garçons appréciaient la présence de jeunes filles dans leur groupe, lors de leurs lointaines expéditions en Finlande, en Espagne, en Corse, en Sicile, en Grèce ou en Turquie. Les annales mentionnent également une visite aux terrains naturistes des Pays-Bas. Plusieurs futurs couples se sont connus comme Pirates et Piratesses. Les garçons s’habituaient de façon saine et naturelle à jouer avec les jeunes filles et à frayer avec elles dans le plus simple appareil.

La différence entre cette façon d’agir et l’éducation plus traditionnelle fut illustrée de façon amusante lorsqu’un autre groupe de jeunes scouts marins, chassés de leur campement par une crue de la Weser, vinrent demander s’ils pouvaient planter leurs tentes sur le terrain plus élevé des Pirates. Hajo consulta son groupe, car il tenait beaucoup à la démocratie. Et la décision fut que les scouts marins pouvaient venir, à condition de se mettre nus, comme les autres : « Nous ne voulons pas d’hôtes habillés. » Et il en fut ainsi.

Mais à peine les hôtes, tous à l’âge de la plus extrême sensibilité sexuelle, étaient-ils arrivés, que le spectacle pour eux inconnu de toutes ces jeunes filles nues déclencha une véritable épidémie de vigoureuses érections. Les pudiques scouts marins étaient terriblement gênés par leurs jeunes mâts dressés. Mais les Piratesses réagirent tout autrement : « Nous considérons cela comme un compliment », dirent-elles fort à propos. Trois jours plus tard, les nouveaux venus étaient eux aussi parfaitement adaptés à la situation.

Hajo, qui avait acquis son doctorat avec une brillante thèse de philosophie et qui était devenu ensuite professeur d’anglais et de gymnastique, fut mis dans un camp de concentration sous le régime hitlérien, en raison de ses sympathies de gauche. Dans l’ivresse de leur victoire après la chute de la France, les maîtres du pays le relâchèrent en 1940, en même temps que beaucoup d’autres. Mais ils lui interdirent de redevenir enseignant. Il le redevint pourtant dans la clandestinité, à Vienne, et c’est là qu’en 1944, au cours d’une excursion en ski avec ses élèves, il rencontra des soldats de l’avant-garde russe qui le prirent pour un espion et faillirent le tuer.

Après la guerre, on voulut le nommer bourgmestre de sa ville natale dans les monts du Harz ou recteur d’un gymnase. Mais il préféra la liberté que lui laissait un simple poste d’enseignant au lycée de Brême, et c’est là qu’il fonda, en 1949, les « Pirates Hanséatiques ».

En 1968, je fis avec lui un voyage de deux mois à travers la Sicile, la Tunisie, l’Algérie, le Maroc, l’Espagne, le Portugal et la France. Et tout au long de ces deux mois, il m’a raconté des histoires sans cesse renouvelées, un art dans lequel il était passé maître. L’année suivante, nous sommes partis ensemble à la découverte de Troie, en Turquie, dont il voulait visiter les ruines au moins une fois dans sa vie, en grand admirateur d’Homère. « Big Old Joe », comme l’appelaient les Pirates, avait toujours su conquérir le cœur des garçons par sa naïveté parfois enfantine, son humour et son entrain.

Mais il avait aussi ses crises de dépression. Il adressa un jour à tous ses amis une lettre circulaire, disant : « Par suite d’une déchirure de mon talon d’Achille, je ne peux plus marcher qu’avec des béquilles. Mon foie est malade, je souffre du diabète, mes intestins ne fonctionnent plus, mes poumons sont ruinés, mon cœur est défaillant ; je ne peux plus lire que les gros titres des journaux, car ma vue est bien basse ; ma mémoire est comme un fromage de Gruyère, pleine de trous. Faites-moi le plaisir de ne plus m’écrire, de ne plus me rendre visite. Un mourant vous salue. »

Quinze jours plus tard, il partait avec un garçon de quinze ans pour une expédition en canot autour d’une île grecque, et il s’inscrivait pour une ascension dans l’Himalaya. Il avait encore dix ans à vivre…

Cette vie fut essentiellement axée sur les garçons. Comme professeur de gymnastique, il avait l’habitude après chaque leçon de se retrouver avec toute la classe sous une même énorme douche. « Pendant des années, j’ai pu admirer, complètement nus, les plus beaux garçons de Brême », disait-il fièrement. Les jeux des Pirates sur leur propre terrain au bord de la Weser, les voyages entrepris avec eux pendant les vacances (parfois très audacieux, mais heureusement jamais troublés par aucun accident grave) et avec un autre groupe similaire, les nombreux jeunes visiteurs qu’il recevait chez lui, l’ont pendant toutes ces années rempli de joie devant la beauté de leurs corps et leur vitalité de jeunes garçons.

Beaucoup l’ont rendu heureux ; quelques-uns lui ont fait du chagrin ou l’ont déçu, mais aucun ne l’a jamais trahi. Trois frères, qui lui ont rendu visite jusqu’à ses derniers jours, ont contribué par leur jeunesse et leur fraîcheur à lui apporter quelque consolation pendant ces années de vieillesse et de déclin. Il mourut le 12 juillet 1983.

Il avait auparavant fait don de sa bibliothèque sexologique et des innombrables photos de ses Pirates à la Fondation Brongersma, en témoignage de sympathie pour les objectifs de celle-ci. Cette collection est un monument élevé à son œuvre de photographe de la nudité juvénile, jouant librement dans la nature ou posant dans un intérieur. Il n’a hélas jamais pu mettre sur pied le grand livre sur la sexualité des garçons, qu’il projetait d’écrire. Il aurait eu tant de choses à dire sur la réalité de cette sexualité, lui qui avait pu l’observer si longtemps et sous tant de formes différentes.

C’était un homme comme on n’en rencontre pas deux dans une vie.

(Version légèrement écourtée d’un article paru dans la revue néerlandaise Martijn n° 20 de juin-juillet 1984, sous le titre original de « Herinneringen aan Hajo Ortil ». Traduction pour L’Espoir, approuvée par l’auteur.)

L’Espoir, n° 16, janv.-fév. 1985.



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Table des matières
Page de titre. En exergue
Remerciements, par le pasteur Joseph Doucé
Sommaire
Préface, par le docteur Jacques Waynberg
Introduction, par le pasteur J. Doucé
    I. TÉMOIGNAGES
1) Fragments d’un discours impossible, par Hugo Marsan
2) Interview d’Antonio, par le pasteur J. Doucé
    II. JURIDIQUE
1) Les relations sexuelles des mineurs selon le droit français, par Pierre Lenoël
2) Pédophilie et responsabilité, par Anneke S. C. Visser
3) La pédophilie en Italie, par Piergiovanni Palminota
    III. Dr EDWARD BRONGERSMA
Biographie du docteur Edward Brongersma
a) Un autre regard
b) L’adieu
c) Un pionnier : Hajo Ortil
d) Le consentement de l’enfant
e) Les pédophiles et la Justice
f) Pornographie et législation
g) Le pédophile devant ses juges
h) Jeunesse et sexualité
i) Pères et fils
j) La situation aux Pays-Bas
    IV. PSYCHOLOGIE
La pédophilie : quelques réflexions, par le pasteur J. Doucé
    V. CHRISTIANISME ET PÉDOPHILIE
L’Église et les pédophiles, par le pasteur J. Doucé
Documents :
a) Lettre aux pasteurs de paroisse d’Églises protestantes néerlandophones de la Belgique, par le pasteur Thijs Weerstra
b) La pédophilie : menaçante ou… non comprise, par le pasteur Th. Weerstra
c) À propos de l’enfant, de la sexualité et de la Bible, par le pasteur Th. Weerstra
d) Groupe de travail œcuménique pédophile en Flandres
e) Le processus de l’autoacceptation
Vers une pastorale des pédophiles, par le pasteur Alje Klamer
    VI. LITTÉRATURE ET PÉDOPHILIE
Littérature et pédophilie, par Gérard Bach
    VII. ASPECTS DU MOUVEMENT PÉDOPHILE
par Maurice Balland, Érick Pontalley, etc.
Introduction. – I, Pays-Bas, Belgique, France
II, Allemagne. – III, Suisse. – IV, Angleterre. – V, Pays scandinaves. – VI, États-Unis
VII, Position de l’I.L.G.A. – VIII, Pedophile Information Pool
    VIII. BIBLIOGRAPHIE ET DOSSIER DE PRESSE
par Pierre Fontanié et Maurice Balland
A — F (Abu-Nuwas → Franco)
G — L (Gagnon → Louÿs)
M (Man → Musil)
N — Z (Nabokov → Ziegler)
    IX. ANNEXES
a) Index des noms cités
b) Chez le même éditeur
c) Information : C.C.L.
4e page de couverture

Voir aussi

Source

Articles connexes

Notes et références