La pédophilie en question (texte intégral) – VI
Si vous possédez des droits sur ce document
et si vous pensez qu’ils ne sont pas respectés,
veuillez le faire savoir à la direction de BoyWiki,
qui mettra fin dès que possible à tout abus avéré.
L’art permet souvent de faire découvrir ce qui est nié socialement. Ou du moins se croit-il permis de le faire. Comment comprendre autrement ces corps d’hommes et de chérubins lascifs de la chapelle Sixtine peints par Michel-Ange. Il arrive que les artistes aient à pâlir de leurs audaces mais généralement la tolérance à leur égard est plus grande que pour n’importe qui d’autre.
Il en va ainsi de la littérature et de la pédophilie. Sa négation sociale pendant des siècles, les autodafés de textes jugés licencieux, ont cependant laissé se transmettre quelques textes littéraires consacrés à la question. Certes ces textes, ceux de l’antiquité grecque et latine surtout, étaient souvent difficiles d’accès ; on en interdisait la traduction ce qui réduisait leur possible lecture ; et pourtant ces textes, transmis de générations en générations restaient comme le témoignage unique d’une réalité qui ne pouvait s’exprimer autrement. Quant aux écrivains qui voulaient eux-mêmes écrire sur le sujet, il ne leur a été possible, jusqu’à une période très récente, de le faire que par le truchement de textes qui prenaient leurs distances d’avec la pédophilie : on verra ainsi des écrivains, pourtant fort concernés personnellement, chercher une caution morale du côté d’autorités religieuses ou autres, comme pour s’excuser de traiter d’une question aussi scandaleuse. Henry de Montherlant qui s’enquit de l’avis de l’archevêque de Paris pour savoir s’il devait faire représenter sa pièce La ville dont le Prince est un enfant est l’archétype de ces écrivains. Double discours qui permet l’excuse absolutoire des uns et réjouit les autres qui trouvent là l’écho de leurs propres désirs.
Plus récemment, des écrivains se sont jetés à l’eau. Ils ne prennent plus la pédophilie avec des pincettes. Ils racontent sans s’embarrasser de circonlocutions, retrouvant ainsi la liberté de la littérature antique.
Aller fouiller dans les éditions non expurgées des textes grecs, chercher comme le héros d’Umberto Ecco, dans Le Nom de la rose, dans l’enfer des bibliothèques, celles des abbayes et celles des universités, telle a été la quête du pédophile pendant des siècles. Les grands récits philosophiques socratiques rapportés par Platon ne cachent rien des relations pédophiliques. Quatre siècles avant notre ère on trouve dans Le Banquet toute une réflexion sur ce que doivent être les relations pédophiles. On y stigmatise les pères qui défendent à leurs garçons de parler à leurs amants adultes et prescrivent aux pédagogues de faire observer cette défense (183-c). Mais pour autant l’amour pédophile ne doit pas être la débauche : « L’amour n’est pas une chose simple (…) c’est le pratiquer malhonnêtement que d’accorder ses faveurs à un homme mauvais ou pour de mauvais motifs ; honnêtement, de les accorder à un homme de bien ou pour des motifs honorables. » Quelques siècles plus tôt le sage Solon (640-558 av. J.-C.), loué pour ses capacités politiques était aussi un poète que révèlera d’ailleurs Platon. Cela ne l’empêchait pas de recommander dans un de ses poèmes : « Tu aimeras les garçons dans la charmante fleur de leur âge, désirant leurs cuisses et leur douce bouche. »
Cette littérature pédophile avait une si grande importance dans l’antiquité grecque que Straton de Sardes ( IIIe siècle AEC)[1] compilera une anthologie de la poésie pédérastique (traduite en latin sous le nom de Musa puerilis) dans laquelle il fait figurer certains de ses propres poèmes : « Je chéris les garçons au teint blanc ; mais j’aime aussi les blonds et les châtains dorés, et je ne dédaigne pas les bruns. J’apprécie beaucoup les prunelles fauves ; mais ce que j’adore par dessus tout, ce sont ces yeux sombres qui lancent des éclairs. » Et encore : « J’aime la fraîcheur de l’enfant de douze ans ; mais celui de treize ans est beaucoup plus désirable. Plus douce encore est la fleur de l’amour qui s’épanouit à quatorze ans, et de plus en plus charmante celle de la quinzième année. Seize ans c’est l’âge divin. Dix-sept ans, je n’oserais y prétendre : seul Zeus y a droit. Quant à celui qui cherche des garçons plus mûrs, il n’a pas le goût des jeux enfantins. »
Du côté féminin c’est Sappho (612-vers 558 av. J.-C.) qui marque le plus ; Sappho qui disait d’elle-même : « même dans l’avenir on gardera de moi le souvenir » ; Sappho aux neuf livres de poèmes : « Ah puisses-tu dormir sur les seins d’une tendre amie… Et plus que l’or dorée, plus blanche que le lait, plus souple que l’eau, plus harmonieuse que les harpes, plus fière qu’une cavale, plus délicate que les roses, plus douce qu’un moelleux manteau, plus précieuse que l’or ». De ces neuf livres, il ne reste que des fragments mais suffisants pour que Brasillach ait pu en dire : « C’est la passion elle-même, sa voix rauque et douce, son chant voilé, son insomnie, son désespoir à travers les évocations de jeunes filles, de nuits fleuries, d’étoiles et tout un univers enivrant. »
Si la Grèce antique reste pour l’éternité le phare de la pédophilie, Rome a aussi connu ses chantres. Parmi ceux-ci, Catulle (87-52 av. J.-C.) dit son amour pour Juventius : « Je t’ai dérobé, au milieu de tes jeux, ô Juventius tout de miel, un petit baiser plus doux que la douce ambroisie. » Ce poète, originaire de Vérone, eut d’ailleurs du fil à retordre avec Juventius « fleur de jeunesse indolente et lascive », et mourut à trente-quatre ans « épuisé par les plaisirs ».
La grande figure de la littérature pédophile latine, c’est Pétrone (mort en 66 ap. J.-C.) et son Satiricon, immense fresque de la société romaine et de la diversité de ses débauches. Son personnage Giton, est même devenu un nom commun désignant les jeunes prostitués. Avec beaucoup d’humour Pétrone raconte la fausse ingénuité des garçons. L’un d’eux menaçait de faire appel à son père si l’auteur se montrait trop insistant ; mais, raconte Pétrone : « en dépit de son refrain je me glissais dans sa couche et après une résistance mal jouée je lui dérobe la joie qu’il me refusait (…) puis je me laissai glisser au sommeil. Mais cela n’avait pas contenté mon éphèbe (…) Il me tira donc de mes rêves : “Tu ne veux plus rien ?” Aussi, tant bien que mal, à grands renforts de suées et de soupirs, je pus malgré mon éreintement, lui donner ce qu’il voulait, et je retombai dans mon somme. Moins d’une heure après le voilà qui me pince : “Pourquoi ne le faisons-nous plus ?” Las d’être si souvent réveillé je me mis dans une furieuse colère et lui rétorquant ses propres paroles. “Dors, lui dis-je, ou je vais le dire à ton père.” »
Suétone dans sa Vie des douze Césars décrit les amours pédophiliques de ceux-ci. C’est grâce à son travail et celui d’autres historiens que Marguerite Yourcenar a pu écrire ses admirables Mémoires d’Hadrien, empereur de 117 à 138, et ses amours pour Antinoüs qu’il a rencontré à Nicomédie lors d’une récitation de poèmes : « Un jeune garçon placé à l’écart écoutait ses strophes difficiles (…) Je le gardai après le départ des autres : je réussis à le faire parler. Soudain, se sentant écouté, regardé peut-être, il se troubla, rougit retomba dans un de ces silences obstinés dont je pris bientôt l’habitude. Une intimité s’ébaucha. Il m’accompagna par la suite dans tous mes voyages et quelques années fabuleuses commencèrent. »
Avec l’avènement du christianisme la littérature pédophile va se faire plus rare ; mais on a souvent oublié que l’Islam des débuts laissait une place à l’expression pédérastique : le théologien du soufisme Al-Gazali (1058-1111) concilie très bien mysticisme et pédophilie : « Je suis près de mon bien-aimé, ma lumière est auprès de moi, les fleurs du jardin nous embaument, les oiseaux sont ivres de chants. »
Thème que l’on retrouve chez Ibrahim Ibn-Sahl, poète arabe[2] de Séville au XIIe siècle : « Souvent un beau garçon aux lèvres écarlates m’a demandé, riant : quelle est ta religion ? Ma foi, lui répondis-je, en ton amour je trouve mon Paradis, mon Dieu et mon éternité. »
Au XIVe siècle, le plus grand poète persan Hâfiz peut affirmer tout à fait officiellement son amour des garçons : « Boucle en désordre, le front moite, le sourire enivré (…) tête penchée à mon oreille la voix douce, il me dit : “Dors-tu, toi qui de si longtemps, es de moi énamouré ?” »
Tandis que l’Orient laisse s’exprimer l’amour des garçons c’est dans l’Occident chrétien la longue nuit de la pédophilie. En fait il faut attendre le siècle des lumières (le XVIIIe siècle) pour que ce thème réapparaisse dans la littérature : Voltaire, dans son Dictionnaire philosophique écrit un article sur l’amour socratique ; article plein d’ambiguïté d’ailleurs où Voltaire oscille entre la condamnation et l’excuse absolutoire : « Souvent un jeune garçon, par la fraîcheur de son teint ressemble pendant deux ou trois ans à une belle fille ; si on l’aime c’est parce que la nature se méprend. » Rousseau, lui, raconte dans ses Confessions comment par deux fois dans sa jeunesse, il repoussa les avances d’homosexuels. Tout cela n’est pas très favorable à la pédophilie, mais le tabou est levé dans l’écriture. L’expression libre de la pédophilie (et d’autres passions) commence avec Sade et ses 120 journées de Sodome ou l’école du libertinage : à la dix-huitième journée, le héros de Duclos se fait fouetter par un jeune valet travesti en femme : « le libertin, déjà vigoureusement marqué des cinglons formés par ces houssines, se jette sur sa masculine fouetteuse, il la trouve, une main vérifie son sexe, l’autre saisit avidement les deux fesses. D’abord il ne sait quel temple il encensera en premier : le cul le détermine à la fin, il y colle sa bouche avec ardeur ».
À la fin de ce dix-huitième siècle, Goethe dans Les années d’apprentissage de Wilhelm Meister et dans la deuxième version de Faust évoque des sentiments pédophiles. Dans ses notes de voyage en Schleswig en 1790 il écrit : « J’ai fait l’amour avec des garçons, mais je préfère les jeunes filles, car quand je suis las d’en traiter une en fille, je puis la traiter encore en garçon. »
Les Chants de Maldoror de Lautréamont (1846-1870) sont marqués d’une grande ambiguïté à l’égard de la pédophilie. Après avoir stigmatisé les pédérastes que punissent les maladies vénériennes, Lautréamont s’adresse aux jeunes adolescents et aux jeunes filles : « En attendant, que celui qui brûle de l’ardeur de partager mon lit vienne me trouver ; mais je mets une condition rigoureuse à mon hospitalité : il faut qu’il n’ait pas plus de quinze ans. »
L’histoire de Verlaine et Rimbaud est proche de la pédophilie puisque Rimbaud n’avait que dix-sept ans lorsqu’il rencontra Verlaine. Passion tumultueuse, mais qui connut des moments d’abandon, que chante Rimbaud dans Une saison en enfer : « J’ai fait la magique étude du bonheur que nul n’élude. Ô vive lui, chaque fois que chante son coq gaulois. Mais ! je n’aurais plus d’envie il s’est chargé de ma vie. Ce charme ! il prit âme et corps et dispersa tous efforts. » Quant à Verlaine dans le recueil Hombres (imprimé sous le manteau) il décrit ses jeunes amants :
- « Mes amants n’appartiennent pas aux classes riches
Ce sont des ouvriers faubouriens ou ruraux
Leurs quinze et leurs vingt ans sans apprêt sont mal chiches
De force assez brutale et de procédés gros. (…)
Leur pine vigoureuse et leurs fesses joyeuses
Réjouissent la nuit et ma queue et mon cul :
Sous la lampe et le petit jour, leurs chairs joyeuses
Ressuscitent mon désir las, jamais vaincu. »
Le dix-neuvième siècle ne fait pas encore la distinction entre homosexuel et pédophile ; il stigmatise tout uniment les « amoureux des jeunes gens ». Oscar Wilde (1854-1900) eut à subir les foudres du père de son amant Lord Douglas. Wilde passa deux années en prison pour avoir affiché trop ostensiblement ses mœurs. Il mourut dans la misère à Paris. Le jeune Lord Douglas lui a inspiré son Portrait de Dorian Gray : « Soudain, je me trouvai face à face avec le jeune homme dont la personnalité m’avait si étrangement troublé. Nous étions tout près l’un de l’autre, presque à nous toucher. Nos regards se croisèrent de nouveau. C’était folie de ma part, mais je demandai à lady Brandon de nous présenter. Peut-être après tout n’était-ce pas si fou ! C’était simplement inévitable. Nous nous serions parlés même sans présentation. J’en suis certain. Dorian, aussi, il me le dit plus tard, sentit que nous étions destinés à nous connaître. »
Le grand poète américain Walt Whitman (1819-1892) dut dissimuler son amour des garçons derrière un éloge d’un « compagnonnage aussi serré que les arbres le long de tous les fleuves d’Amérique ». Son poème Sun-down éclaire le côté très platonique de ses amours : « J’ai été appelé par mon petit nom par des voix claires et fortes de jeunes hommes… J’ai senti leur bras sur mon cou lorsque nous étions debout, ou la pression négligente de leur chair contre moi lorsque nous étions assis. J’en ai vu beaucoup que j’aimais dans la rue, sur le bac ou dans les réunions publiques, et pourtant je ne leur ai jamais dit un mot… »
C’est le même thème de l’amour extatique impossible à réaliser que l’on retrouve dans le roman de Thomas Mann (1875-1955), Prix Nobel de littérature : La mort à Venise, porté à l’écran par Visconti : hanté par la beauté du jeune Tadzio, Gustav von Aschenbach se met à l’affût de sa présence ; mais cette volupté est aussi celle de l’anéantissement. « Bientôt le contemplateur connut chaque ligne et chaque attitude de ce corps, présenté si librement, avec un relief si puissant ; il saluait avec une joie toujours renouvelée chacune des perfections qui lui étaient déjà familières et n’en finissait pas d’admirer avec une tendre sensualité. »
L’écrivain anglais Lewis Carroll (1832-1898) préférait la compagnie des enfants à celle des adultes ; c’est à la demande d’une de ses très jeunes amies qu’il écrivit Alice au pays des merveilles. Lewis Carroll fut aussi un des premiers amoureux des enfants à utiliser la photographie : il réalisa d’innombrables portraits de petites filles mais dut abandonner cet art pour que sa réputation n’en souffrît point.
Il a également écrit des lettres adressées à des petites filles. Selon Michel Tournier (Petites proses) « son jardin secret, sa passion brûlante close sur elle-même c’était la petite fille impubère (âge idéal : dix ans). Il disait dans une formule qui résume assez bien son genre d’humour : “j’adore les enfants à l’exception des petits garçons.” »
À la jonction du xixe et du XXe siècle des auteurs commencent à parler plus ouvertement ; même si, très souvent, il faut une « morale » à l’histoire, ou s’il faut utiliser des pseudonymes. Gide (1869-1951) publie en 1911 son Corydon (anonymement) : cette apologie de la pédérastie fit scandale : en s’appuyant sur la biologie et l’histoire de la Grèce, Gide veut démontrer le caractère « naturel » de l’amour des garçons. Dans Si le grain ne meurt Gide laisse entrevoir quelque chose des amours maghrébines (que connaît aussi Wilde) : « Daniel saisit Mohammed dans ses bras et le porta sur le lit qui occupait le fond de la pièce. Il le coucha sur le dos, tout au bord du lit en travers ; et je ne vis bientôt plus, que, de chaque côté de Daniel ahanant, deux jambes fines pendantes. » Pour faire bonne mesure, Gide annonce, quelques lignes plus bas : « j’aurais crié d’horreur… On a toujours du mal à comprendre les amours des autres, leur façon de pratiquer. Et même celles des animaux (je devrais réserver cet “et même” pour celles des autres hommes) ». Et quand Gide s’adresse au jeune Nathanaël dans Les Nourritures terrestres c’est tout le symbolisme de la relation pédérastique qui s’exprime : « Nathanaël, j’aimerais te donner une joie que ne t’aurait donnée aucun autre (…) je n’écris que pour toi ; je n’écris que pour ces heures. Je voudrais écrire tel livre d’où toute pensée, toute émotion personnelle te semblât absente, où tu croirais ne voir que la projection de ta propre ferveur. Je voudrais m’approcher de toi et que tu m’aimes. »
Proust (1871-1922) dans ses personnages de La Recherche du temps perdu préfigure l’homosexuel tel que le XXe siècle l’entend. Il n’empêche que son baron de Charlus a des relations avec de jeunes voyous : « Jupien les avait recommandés à la bienveillance du baron en lui jurant que c’étaient des barbeaux de Belleville et qu’ils marcheraient avec leur propre sœur pour un louis. »
Dans Les désarrois de l’élève Toerless de Robert Musil (1880-1942) apparaît le thème des amitiés particulières de collège ; mais là c’est sur le mode violent : dans son rapport avec Basini, efféminé, voleur et lâche, le jeune Toerless éprouve une tendresse sensuelle : « Quand il se retourna Basini était debout devant lui, complètement nu. La vue soudaine de ce corps nu, blanc comme neige, derrière lequel le rouge des cloisons devenait sang, l’éblouit et le confondit. Basini était bien bâti ; son corps à peine marqué par la virilité avait la maigreur élancée et pudique qu’on voit aux très jeunes filles. Toerless sentit l’image de cette nudité devenir flammes blanches, flammes brûlantes dans ses veines. »
Ce thème on le retrouve chez Henry de Montherlant (1896-1972) qui avait dès l’âge de dix-sept ans ébauché une pièce qui deviendra La ville dont le prince est un enfant : ambiguïté du titre puisque le verset de l’Ecclésiaste dit « Malheur à la ville dont le prince est un enfant », mais en même temps grande tendresse de l’auteur pour ces amours de collèges de garçons où se mêlent les désirs des élèves et des professeurs.
L’abbé de Pradts y résume la philosophie des collèges de jésuites[3] : « Notre but est de donner des sentiments délicats à des jeunes gens de l’enseignement secondaire. Cela ne va pas sans d’assez nobles conflits, qui sont, tout compte fait, ce qu’il y a de plus important dans cette Maison. La terre a été remuée, bouleversée ; elle sera féconde. Que Sevrais ait aimé Souplier, qu’on le lui ait arraché, qu’il ait eu ce choc avec moi, qu’il ait été mis à la porte, tout cela est excellent pour sa formation. C’est en souffrant de nous, en nous faisant souffrir qu’il a senti qui nous sommes. »
Montherlant reprendra ces personnages dans Les Garçons. Alban et Serge se retrouvent à la resserre du collège : « Alban le pressa contre lui, le cœur dans sa bouche. Serge s’abandonna, ses jambes fléchirent, il fondit entre les bras amis et petite loque dénuée d’équilibre et de soutien, parut défaillir, coula sans force tout le long de celui qui le retenait à peine, enfin se trouva à terre avec quelque chose de pâmé, et Alban agenouillé au-dessus de lui. » Avec toute l’hypocrisie nécessaire à l’acceptation sociale de son roman et de sa pièce, Montherlant écrit dans la préface des Garçons qu’il a voulu écrire un roman religieux « dont on sort plus chrétien si on l’est et plus chrétien de sympathie si on ne l’est pas ».
C’est avec son premier roman publié en 1944 Les Amitiés particulières que Roger Peyrefitte (né en 1907) acquiert la célébrité. En 1949 il publie Les Amours singulières du baron von Gloeden[4] qui avait quitté l’Allemagne pour la Sicile où il vécut en vendant des photos d’éphèbes nus.
Toute l’œuvre de Roger Peyrefitte est ensuite traversée par le thème de la pédophilie, en particulier dans Notre amour où il décrit sa relation avec un garçon qu’il a rencontré lors d’une visite d’un collège. Après l’avoir approché à la chapelle du collège, l’auteur invite le jeune adolescent chez lui : « Il se leva pour s’asseoir sur le tapis à côté de moi. — “Notre premier baiser, repris-je, nous l’avons échangé dans une chapelle. Ce n’était pas un sacrilège mais une consécration.” — Il avait fermé les yeux, la tête renversée sur les épaules. Je restais quelques minutes à le contempler puis me penchais vers lui. Sa bouche vint au devant de la mienne. Son corps vint au devant de ma main. »
Roger Peyrefitte a fait publier en 1983 la correspondance qu’il a échangée avec Henry de Montherlant et où les deux amis relatent — parfois en langage codé — leurs amours avec de « jeunes personnes ».
Du côté de la pédophilie hétérosexuelle, Vladimir Nabokov (1899-1977) est une grande figure du XXe siècle. Avec la publication en 1958 de Lolita qui raconte l’histoire d’une adolescente de treize ans et d’un homme mûr, Nabokov imposa un personnage dont le prénom est aujourd’hui passé dans le langage courant pour désigner une très jeune fille sensuelle. « Oh oui, je devais la surveiller de près ma Lolita, cette petite Lo languide. En dépit de son physique encore enfantin, elle irradiait un éclat étrangement sensuel (en raison peut-être de ses exercices amoureux journaliers) qui plongeait garagistes et garçons d’hôtel, estivants, ruffians en voiture de luxe et marlous marrons au bord des piscines azurines, dans des transes libidineuses qui eussent chatouillé ma vanité si ma jalousie n’avait été tellement exacerbée. »
L’univers carcéral qu’il a connu très jeune inspire Jean Genet (1910-1986) dans ses poèmes et dans ses romans. Dans Le Condamné à mort dédié à son ami Maurice Pilorge, jeune guillotiné, Genet accuse la justice : « On peut se demander pourquoi les cours condamnent un assassin si beau qu’il fait pâlir le jour. » Et, Genet évoque le voyage en bateau jusqu’au bagne :
- « Ne chante pas ce soir les “Costauds de la lune”.
Gamin d’or sois plutôt princesse d’une tour,
Rêvant mélancolique à notre pauvre amour ;
Ou sois le mousse blond qui veille à la grand’hune.
Il descend vers le soir pour chanter sur le pont
Parmi les matelots à genoux et nu-tête
L’Ave maris stella. Chaque marin tient prête
Sa verge qui bondit dans sa main de fripon.
Et c’est pour t’emmancher, beau mousse d’aventure
Qu’ils bandent sous leur froc les matelots musclés. »
Atmosphère des quartiers populaires encore, chez Pier Paolo Pasolini (1922-1975) qui mourra assassiné par un voyou qu’il avait dragué. Les garçons rencontrés dans les faubourgs de Rome lui inspireront le roman Ragazzi di vita.[5]
Dans Actes impurs, P. P. Pasolini relate de façon presque autobiographique ses débuts de jeune professeur et son attirance pour le jeune Gianni : « Ce soir-là il était d’une beauté palpable comme celle d’un objet : une lumière dorée et minérale qui resplendissait à l’intérieur de son corps, enflammant sa chair molle et tiède plus que ses yeux (…) “Comme tu es musclé !” lui disais-je, en lui touchant ses bras maigres et frais en plaisantant. Mais Gianni me prit au mot et pendant que les deux autres garçons étaient occupés à leurs petites histoires, il se glissa à demi-nu sous les couvertures, et saisissant ma main, me déclara : “Mais les muscles sont plus forts aux cuisses…” »
« Mystérieux vagabond mystique » c’est ainsi que Jean Chalon a salué la mort à quarante-sept ans de François Augiéras à l’hospice de Périgueux en 1971. Augiéras a trouvé dans le voyage, surtout en Afrique du Nord, son inspiration. Il publiera même Le Vieillard et l’enfant sous le nom d’Abdallah Chaamba. Dans Le Voyage des morts Augiéras raconte ses rencontres à Ghardaïa et sa vie de berger : « il était mon âme venue du plus lointain passé. Il avait une odeur et de chair et de thym, ses lèvres étaient fraîches. Il posa son couteau sur les pierres. Dans les bras l’un de l’autre, les doigts gluants, nous crûmes mourir de joie. Je suis ton frère me dit-il. Il prit son couteau et après avoir une dernière fois embrassé mes lèvres, partit dans la nuit qui venait ».
Le Maghreb inspire aussi Michel Tournier (né en 1924) dans La Goutte d’or. Mais le voyage le mène aussi en Allemagne avec Le Roi des Aulnes où apparaît la symbolique souvent attachée à la pédophilie de l’ogre. L’enfance est partout présente dans l’œuvre de Michel Tournier ; il a écrit certains livres à la destination particulière des enfants.
Son rapport à la pédophilie est souvent allusif. Non sans humour comme dans cet extrait de Petites proses : « Un jour j’aurai une femme. Et ma femme ayant un an, je suivrai les bras tendus, ses premiers pas lourdauds et mal assurés de château branlant, et je la guiderai pour lui apprendre à approcher sans crainte les fleurs, les bêtes et les hommes. Nous plongerons dans les vagues et je lui apprendrai la mer. Petit phoque rieur et frétillant, elle cherchera refuge dans mes bras comme dans une crique, elle escaladera mon dos comme une île. »
Les deux écrivains contemporains français qui ont illustré de la façon la plus complète et la plus directe la pédophilie sont sans conteste Tony Duvert et Gabriel Matzneff. C’est une nouvelle génération d’écrivains qui s’ouvre avec eux qui ne cherchent plus à travestir le désir pédophile. Tous deux ont écrit sur la pédophilie à la fois sous la forme de l’essai et du roman.
Pour T. Duvert ce sera Le Bon sexe illustré (1974) réponse à l’encyclopédie de la sexualité publiée par Hachette et, en 1980, L’Enfant au masculin. Chez G. Matzneff Les moins de seize ans (1974) et Les Passions schismatiques (1976) revendiquent bien haut le droit à l’amour des enfants. Mais le pamphlet n’est pas tout. En 1973 T. Duvert obtient le prix Médicis pour Paysage de fantaisie. Ses romans Quand mourut Jonathan (1978) et L’Île Atlantique (1979) s’orchestrent autour de l’enfance, dans la liberté la plus totale, même si elle est soumise à la désapprobation sociale. La relation de Serge, l’enfant, et de Jonathan, l’adulte, dure plusieurs années, et se transforme : « l’enfant à six ans, huit ans, avait été tout entier son corps et son corps était lui tout entier. Maintenant, au contraire il avait bizarrement, un corps à regarder attirant expressif qui devait être lui et un autre corps à toucher, ce corps anonyme de garçon : un corps en trop. (…) Et même, le soir au lit (car le petit lit d’en bas fut oublié) quand Serge provoqua le garçon, avec dans les yeux une malice si particulière que Jonathan eut la certitude qu’à présent Serge savait quel nom tout cela portait. »
Gabriel Matzneff fait alterner romans et extraits de son journal. Mais toujours les jeunes filles et les jeunes garçons sont présents.
Singulier courage que celui de publier de son vivant son journal intime, surtout quand d’obscurs ennemis de la pédophilie s’en prévalent pour traîner l’auteur en procès. Dans Nous n’irons plus au Luxembourg (1972) G. Matzneff décrit l’histoire d’un professeur de lettres à la retraite, fin gourmet, vrai humaniste et amateur de très jeunes personnes. Dans Isaïe réjouis-toi (1974) Nil voit son mariage avec Véronique remis en cause par le surgissement dans leur vie d’Anthony, jeune collégien anglais aux boucles blondes dont ils tombent tous deux amoureux. Avec Ivre du vin perdu (1981) c’est la quête du pédophile à travers le monde de Ceylan aux Philippines. G. Matzneff dédie aussi des poèmes à ses petites amantes :
- « Deux ans mon Dieu c’est une longue histoire
Les caresses du matin et les baisers du soir
Que de battements de cœur et de marches gravies
Que d’étreintes bienheureuses que de larmes aussi
Que d’attentes que d’angoisses que de courses éperdues
Eurydice et Orphée l’un à l’autre rendus
Le diable est mort et l’amour est vainqueur
Ton sourire ton regard tes lèvres sur mon cœur
Chaque fois que je t’embrasse c’est la première fois
Je tremble de désir et de fièvre et de joie
Ma petite fille mon amante à la voix lactée
Ton corps et mon corps sont à jamais soudés
Nos années à venir sont des années lumière
Les anges et les étoiles fêtent notre anniversaire. »
Les dernières années ont vu se multiplier les parutions qui concernent la pédophilie : déjà dans Porporino ou les mystères de Naples (prix Médicis 1974) Dominique Fernandez évoquait le rôle social et sexuel des jeunes castrats à la cour du roi de Naples au XVIIIe siècle.
C’est encore le voyage pédophilique qui inspire Jack Thieuloy dans L’Inde des grands chemins. Et c’est l’actualité de la répression anti-pédophile qui inspire à Guy Hocquenghem son roman Les Petits garçons paru en 1983 en pleine affaire du Coral.
Christiane Rochefort avec Printemps au Parking, Encore heureux qu’on va vers l’été et Les Enfants d’abord allie la revendication d’une enfance différente de celle que forge la société à la liberté sexuelle pour tous y compris les enfants.
Finalement l’expression de la pédophilie dans la littérature contemporaine est plus directe, moins culpabilisée. Si la répression sociale reste forte, il est possible, en France du moins, d’écrire sur le sujet. Ce n’est pas le cas dans tous les pays puisque, en Grande-Bretagne, les romans de Tony Duvert ont valu à ses diffuseurs des condamnations pénales. Gabriel Matzneff a été poursuivi dans l’affaire du Coral à la suite de dénonciations calomnieuses, et l’on a produit des extraits de ses livres à l’appui des ragots. L’expression pédophile littéraire n’est donc pas garantie. Mais elle est trop la vie elle-même pour pouvoir être muselée définitivement.
Note : Pour les références des livres cités dans ce chapitre, voir la Bibliographie à la fin de ce livre, page 203.
Voir aussi
Source
- Joseph Doucé, La pédophilie en question, Paris, Lumière & Justice, 1988, p. 149-160.
Articles connexes
Notes et références
- ↑ Pour la date, l’auteur confond ici le poète pédérastique Straton de Sardes, qui semble avoir été contemporain d’Hadrien au IIe siècle, avec le philosophe Straton de Lampsaque, qui vécut cinq siècles plus tôt et ne s’est pas particulièrement intéressé à l’amour des garçons.
- ↑ Ibn Sahl al-Andalusîy, dit aussi Ibrâhîm Ibn Sahl ou Ibn Sahl de Séville, n’était pas un Arabe, mais un juif converti à l'islam.
- ↑ En réalité, le collège de La ville dont le prince est un enfant n’est pas tenu par des jésuites – pas plus que Sainte-Croix de Neuilly qui en fut le modèle.
- ↑ La première partie des Amours singulières relate une tout autre histoire, « La maîtresse de piano ».
- ↑ Le titre de la traduction française est Les ragazzi (1958).