La pédophilie en question (texte intégral) – IV

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IV. PSYCHOLOGIE






LA PÉDOPHILIE : QUELQUES RÉFLEXIONS



Depuis que le C.C.L. existe, j’ai eu l’occasion de m’entretenir avec bon nombre de pédophiles, plusieurs centaines même, qui sont venus me consulter, très souvent dans un grand désarroi. Ils souffrent profondément d’une orientation sexuelle et d’une structure de personnalité qu’ils semblent ne pas avoir choisies.

D’emblée, je ferais une distinction entre diverses tendances souvent assez marquées. Il y a d’abord des adultes, parfois âgés, homosexuels ou hétérosexuels, qui recherchent des partenaires jeunes aux alentours de la majorité, dix-sept à vingt ans. Ensuite, ceux qu’on pourrait appeler éphébophiles (ephebos, mot grec désignant un jeune autour de quinze-seize ans), préoccupés d’adolescence, et enfin les pédophiles, ceux intéressés par les enfants aux alentours de la puberté, ou même plus jeunes (prépubères), parfois même très jeunes. Pour être complet, et cerner totalement le phénomène à la manière des scientifiques, il conviendrait d’appeler koréphiles (du grec : koré = jeune fille) ceux des pédophiles — hommes ou femmes — se trouvant à l’aise avec de jeunes enfants de sexe féminin.

Il est à noter que la plupart des procès sont intentés contre des hommes qui ont eu des relations sexuelles avec des adolescents ou des enfants. On fait moins cas de ces faits lorsque des femmes sont concernées. Sans doute parce que les rapports que les femmes peuvent entretenir avec de jeunes enfants ou même des adolescents passent plus inaperçus, sont moins visibles, ou sont facilement tenus pour des soins ou des sentiments maternels, et donc moins répréhensibles… Mais j’ai quand même reçu quelques confidences non équivoques dans ce sens. Et qui aussi n’a entendu parler de ces femmes moustachues et chapeautées du seizième arrondissement à la recherche de jeunes gens dans quelques établissements devenus célèbres à Paris pour ce genre de rencontre et qui sont prêtes à les entretenir ?

Mais aussi, rappelons-nous, par exemple, le cas célèbre d’une enseignante, dans les années 1970, qui avait entretenu des rapports intimes avec un jeune de dix-sept ans qu’elle avait eu comme élève. Elle fut persécutée par les parents et la justice et fit même de la prison. Elle finit par se suicider. Il est vrai que de tels cas sont plutôt rares car rapidement étouffés et mis dans le sac des oubliettes.

Les problèmes des pédophiles sont délicats. Il y a plusieurs aspects qu’il serait important de ne pas ignorer.

Bien que de tous les milieux sociaux, mariés ou célibataires, j’ai noté généralement en eux un profond désir de jouer un rôle paternel ou, au moins celui d’un grand frère pour les enfants. Ordinairement, ils désirent le bonheur de l’enfant, mais leurs inclinations sexuelles impliquent également un désir sexuel pour lui.

À plusieurs reprises, j’ai remarqué des pédophiles qui non seulement cherchent l’affection et la tendresse auprès de jeunes enfants, mais également, aussi curieux que cela puisse paraître, auprès de personnes beaucoup plus âgées qu’eux. Apparemment, cela semble contradictoire. En explication de ce comportement, on peut penser que tel pédophile cherche dans les deux cas une relation de sécurité : l’enfant ne se défend pas et n’est pas une menace pour lui, et pas davantage la personne âgée, surtout si le pédophile est nettement plus jeune qu’elle (parfois quarante ans de moins !). Je ne sais pas si c’est ainsi dans tous les cas, mais cela correspond à un certain nombre d’observations que j’ai pu faire ces dernières années.

J’ai rarement entendu parler d’un cas de viol ou de violence. Il s’agit presque toujours de liens d’amitié créés entre l’adulte et l’enfant. Il est vrai qu’il n’est pas rare que l’enfant soit l’instigateur du rapport sexuel et provoque l’adulte.

J’ai rencontré également un grand nombre de personnes qui m’ont confié avoir eu, dans leur enfance, des rapports sexuels avec des adultes, provoqués tantôt par l’un, tantôt par l’autre. Jamais quelqu’un ne m’a dit être devenu homosexuel ou pédophile à la suite d’une telle relation. Souvent, ils ont gardé des liens affectifs et sentimentaux longtemps après la période érotique avec l’adulte.

Ainsi, par exemple, je connais plusieurs jeunes adultes mariés et pères de famille qui m’ont dit avoir eu, dans leur enfance ou leur adolescence, des relations avec des adultes bien plus âgés qu’eux. Je me souviens même d’un jeune homme de dix-neuf ans, témoin au procès de Bobigny en 1981, et qui me faisait part de sa situation présente. Vivant avec une femme dont il avait eu un enfant, il ne tenait pas à ce que celle-ci connaisse son passé et qu’il soit venu témoigner à Bobigny. Il ne voulait pas qu’elle soit traumatisée, d’autant plus que le genre de rapport qu’il avait connu était pour lui du passé et terminé. Malgré tout, il avait gardé bon souvenir, et c’est pourquoi il était là comme témoin. Au président du tribunal désireux de savoir s’il avait été heureux lors de ses relations avec le prévenu et en gardait bon souvenir, il répondit, sans la moindre hésitation, d’un seul mot significatif : « Très » ! ! ! La spontanéité de ce témoignage fut émouvante. Le regard que les deux hommes échangèrent alors — ils ne s’étaient pas revus depuis trois ans — fut des plus déchirants. Dans la conversation que j’eus avec lui, le jeune Michel m’a dit qu’il était prêt à loger son ami dès sa sortie de prison, car c’était à son tour de montrer de la reconnaissance.

Lors des consultations en sexologie, j’ai reçu aussi nombre d’impuissants. Parmi eux, quelques-uns m’ont confié avoir eu des relations sexuelles avec leur père ou leur beau-père (second mari de leur mère). Mais, d’autre part, j’ai rarement reçu les confidences spontanées de personnes ayant eu des relations incestueuses. Ce fut surtout dans le cas de relations père-fils. La raison semble en être que, dans ces situations, il se soit produit une sorte de confusion de sentiments dans le psychisme du jeune. Mais nombreux, en revanche, sont ceux qui m’ont confié avoir entretenu des relations sexuelles pendant une période plus ou moins longue avec leur frère, cousin, neveu, etc., sans la moindre séquelle apparente. Mais cette observation mériterait toutefois une recherche plus approfondie pour en tirer quelques conclusions.

Il est intéressant de remarquer que dans certaines langues où il existe trois genres, le masculin, le féminin et le neutre, l’enfant est considéré de la troisième catégorie. Ainsi, par exemple, en hollandais « het kind », en allemand « das Kind ». De même, aussi curieux que cela puisse paraître, dans ces deux langues, la jeune fille non mariée est aussi du genre neutre, soit respectivement « het meisje » et « das Mädchen ». Si une langue est l’expression des sentiments d’un peuple, une telle particularité linguistique n’est pas chose indifférente mais signifie, on peut le penser, que l’enfant n’est pas considéré à la façon d’un adulte mais comme un être asexué. Mais depuis Freud, tout le monde sait que les enfants sont des êtres sexués, et empêcher qu’ils aient une sexualité est une forme inacceptable de castration. Comme on le voit, l’évolution d’une langue est toujours lente et en retard sur celle des mœurs. Les clichés ont tendance à perdurer, il suffit de lire la presse à sensation pour s’en apercevoir !

L’évolution actuelle de la société permet également de plus en plus que les jeunes aient, sous forme de jeux, des rapports sexuels entre eux. Il s’agit souvent d’une acceptation tacite de la part des parents et d’une tolérance de la part des éducateurs et des enseignants.

Cependant, il existe un certain nombre de problèmes précis :

— Je crois que la liberté de l’enfant doit être respectée dans le domaine de la sexualité comme dans tout autre domaine, sans pour autant tomber dans l’indifférence et le manque d’éducation (la voie de la facilité). L’enfant doit apprendre à se connaître dans ses relations avec les autres dans tous les domaines. Les parents et les éducateurs doivent le guider et le conseiller, plutôt que de le castrer et de le punir.

— Dans les rapports sexuels, le seul problème majeur, à mon avis, est de garantir à égalité la liberté de l’enfant de ne pas avoir de rapports sexuels si tel est son désir. Il convient d’étudier soigneusement la nature des rapports entre l’adulte et l’enfant.

— Je n’ignore pas non plus les implications juridiques de ce que j’affirme ci-dessus. Je pense que les juges sont confrontés souvent à des situations délicates. Il y a en premier lieu la loi qu’ils doivent interpréter et appliquer. Il y a d’autre part une situation humaine, et enfin l’opinion publique, très souvent mal informée et sous le coup de nombreux préjugés de mauvais goût.

Puisqu’il existe une législation concernant certains comportements sexuels, il est normal qu’à la suite de plaintes ou de requêtes du ministère public, soient menées des enquêtes lorsque des délits à réprimer sont constatés. Il y a le rôle de la police qui fait les investigations, celui des juges, en particulier du juge d’instruction qui doit apprécier la vraie nature du délit avant que ne se mette en route la machine judiciaire. Tout cela est bien et est conforme à notre conception occidentale de la justice où les pouvoirs sont soigneusement distincts de façon à sauvegarder les droits des justiciables, surtout lorsque des enquêtes doivent être approfondies dans le but de cerner exactement la réalité des faits. Mais, dans les cas de pédophilie, les choses ne sont pas si simples, et même fort délicates tant pour les adultes en cause que pour les enfants concernés.

Comme adulte, bien dans ma peau, je n’ai peut-être pas de complexe par rapport à mon comportement sexuel et ce n’est pas un problème que d’en parler avec des amis. Mais je ne cache pas que j’éprouverais une certaine gêne à devoir déballer tout cela dans un commissariat de police où l’on s’évertue à prendre des notes et à questionner pour avoir le plus de détails précis… Ce qui laisse l’impression d’une recherche de sensationnel et quelque peu croustillant…

Si un tel interrogatoire s’avère déjà gênant pour moi, adulte de quarante ans, à combien plus forte raison, un enfant peut se trouver traumatisé par une telle enquête (… il t’a sucé ? il t’a pénétré ? il est circoncis ?… pour ne pas employer le vocabulaire plus familier, voire vulgaire souvent utilisé par la police à ces moments-là). Il se peut que l’enfant n’ait jamais entendu de telles expressions, ni même pensé que certains actes étaient possibles. Comment, en son esprit, se présentera une telle situation pénible ? Si, avec l’adulte, il avait eu des relations amicales, affectueuses, sans plus, combien sera-t-il choqué d’apprendre que son ami se trouve en prison, pour avoir fait quoi ?… par rapport à lui.

Il n’est pas étonnant qu’une telle mise en scène risque de marquer à jamais un jeune en pleine puberté, au seuil de l’adolescence.

Cependant, si une telle investigation s’avère nécessaire, en cas de crime établi, comme un viol odieux, la suite d’un rapt, il va sans dire que la plus grande circonspection doit être nécessaire et, de la part de la police, une très grande prudence lorsque des mineurs sont en cause. Il faut espérer que lors de leur formation, les personnels de police sont sérieusement instruits à ce sujet.

Il me semble que lorsque des parents ou des éducateurs se rendent compte qu’un enfant ou un adolescent entretient des relations poussées avec un adulte au point de soupçonner qu’il puisse y avoir entre eux des rapports sexuels, ils devraient d’abord s’informer très discrètement de la réalité des faits. Ensuite, il leur sera loisible soit de laisser la relation se poursuivre si elle se montre bénéfique pour l’enfant, soit, au cas contraire, la faire cesser en intervenant avec beaucoup de tact, de diplomatie, surtout en offrant au jeune des compensations affectives au sein de sa famille ou des distractions par diverses activités sportives ou autres au gré de l’enfant. Une intervention brutale ou policière ne résoudra rien, mais souvent aura l’inconvénient d’aggraver la situation des concernés, d’attirer inutilement l’attention de l’entourage (voisins, école) et encore, malheureusement, d’amener des conséquences néfastes pour l’évolution du processus éducatif de l’enfant.

En outre, il faut éviter tout comportement qui paraîtrait une vengeance contre le pédophile, ce qui n’amènerait rien de positif pour aucun des concernés et ne résoudrait en aucune façon le problème.

Il arrive que dans la presse on trouve l’amalgame « drogue-pédophilie ». Sans doute, il est des adolescents (vers quinze-vingt ans) qui se prostituent pour avoir de l’argent et se procurer de la drogue. À mon avis, ce phénomène doit être très marginal, et ne concerne que très peu de jeunes vivant une relation pédophilique. Peut-être y a-t-il des pédophiles qui se droguent et entraînent des jeunes dans leur propension. Pourtant, je n’en ai encore jamais rencontrés dans mon ministère pastoral. Il est vrai que je ne me spécialise pas dans les problèmes de la drogue, je n’ai que peu d’expérience à ce sujet.

Si je n’ai jamais relevé de rapport entre pédophilie et drogue, en revanche beaucoup de pédophiles m’ont parlé du suicide. La misère, la solitude, la peur de bien des pédophiles à faible structure de personnalité est indescriptible…

Dans la littérature, on remarquera que le thème du suicide revient assez souvent chez les pédophiles. Voir par exemple G. Matzneff, H. de Montherlant, etc.

Il n’est pas exceptionnel non plus que des jeunes fassent des fugues, voire le passage — pas-sage — irréparable, notamment parce qu’ils manquent d’affection ou sont en conflit avec leur propre sexualité. J’avoue cependant n’avoir pas assez d’expérience en ce domaine car je ne reçois jamais de jeunes de moins de dix-huit ans au C.C.L. Pourtant, j’aimerais faire remarquer que les responsables de la revue Possible, et les auteurs du livre Ni vieux, ni maîtres, Guide à l’usage des 10/18 ans, sont les mêmes que ceux qui ont écrit Suicide, mode d’emploi, édités tous deux chez Alain Moreau, respectivement en 1979 et 1982. Si je fais ici ce rapprochement, ce n’est pas par goût du scandale, mais simplement pour faire remarquer que des auteurs s’intéressant aux problèmes des jeunes en sont venus à réfléchir également sur celui du suicide. Et leurs livres se sont révélés à la fois très documentés et très pratiques. C’est pourquoi d’ailleurs ils ont provoqué des polémiques qui furent particulièrement violentes pour ce qui concerne le second de leurs ouvrages : Suicide, mode d’emploi.

De tout ce que je viens de dire, il y aurait indiscutablement matière à faire une thèse pour un jeune étudiant en psychologie ou en sociologie en manque de sujet !…

La question de l’âge du consentement et de la majorité sexuelle demeurera toujours un point épineux. Il est en tout cas intéressant de constater qu’il n’y a pas de consensus universel, et que la législation varie selon les époques et les pays, et diffère même à l’intérieur d’un pays selon les époques.

Il n’est pas inutile de remarquer ici la position de l’Église Catholique Romaine, universellement connue pour être très puritaine dans le domaine de la sexualité, comme d’ailleurs dans celui de la morale tout court. Pour elle, l’âge de sept ans est considéré comme âge de raison. L’enfant peut prendre part aux sacrements de confession et de communion, ce qui suppose donc sa connaissance des critères pour déterminer les notions de bien et de mal, et sa capacité de poser des actes où sa responsabilité est engagée.

D’autre part, dans l’Église Catholique, l’âge du catéchisme (dès huit-neuf ans) est suffisant pour recevoir le sacrement de confirmation, et douze-treize ans pour l’engagement de la Profession de Foi (Communion Solennelle). En cette dernière cérémonie, le jeune garçon ou la jeune fille renouvelle les promesses du baptême d’enfant que ses parents et parrain et marraine ont faites à sa place. D’un point de vue ecclésiastique (Droit canonique), cet engagement est important, puisque le jeune s’engage solennellement à être membre à part entière de l’institution qui est l’Église.

Remarquons également que l’âge minimum pour le mariage selon la législation française est dix-huit ans pour les garçons et quinze ans pour les filles (le Procureur de la République peut consentir des exceptions pour des cas graves). Par contre, selon le Droit canonique de l’Église Romaine, ces âges se situent respectivement à seize et quatorze ans, avec également des possibilités de dérogations dans certains cas.

En mon âme et conscience, je ne serais pas capable d’indiquer une limite d’âge pour la majorité sexuelle. Après tout, c’est trop personnel, trop subjectif, trop variable de personne à personne. Je crois qu’il faut prendre en considération chaque cas particulier.

Si j’estime valable une libre expression de la sexualité des enfants, j’aimerais cependant ne pas être mal compris et interprété. Je n’envisage aucunement d’inciter des enfants à avoir des rapports sexuels, ni entre eux, ni avec des adultes. Je ne veux pas davantage que la pédophilie soit forcément à encourager, pas plus qu’il ne faille pousser un adulte à multiplier ses expériences sexuelles pour résoudre ses problèmes affectifs et humains. Les besoins des enfants, comme ceux des adultes, sont variés et assez différents d’une personne à l’autre. Je ne peux assez souligner à quel point le respect et la liberté de chacun s’imposent pour le bon équilibre de tous.

En tout cas, le viol, la violence, la séduction au rabais, la prostitution, la commercialisation, me semblent tout à fait inacceptables et incompatibles avec la dignité humaine.

Je crois qu’il serait opportun d’évoquer encore ici un phénomène assez courant auquel pourtant on prête moins attention. Il s’agit de l’attirance d’hommes adultes pour des fillettes. C’est bien de pédophilie qu’il est également question. Mais lorsque ce mot est prononcé (comme celui de pédérastie), on pense généralement à cette seule attirance d’hommes vers des garçonnets dont on souligne l’odieux lorsque des rapports sexuels sont pratiqués. Je reconnais que mon exposé, au point où je suis parvenu, semble accréditer cette vue des choses. C’est pourquoi je voudrais suggérer que le problème évoqué dans ce livre est plus vaste qu’on ne le pense ordinairement.

L’âge de consentement, en France du moins, est depuis 1982 le même, quinze ans, pour les garçons comme pour les filles, avec donc la possibilité pour eux de relations sexuelles avec qui bon leur semble âgé de plus de quinze ans, adulte ou non. Cependant, dans la pratique, les choses sont quelque peu différentes. L’opinion reste hostile en face de comportements de type homosexuel et plus indulgente en présence de pratiques hétérosexuelles, et les tribunaux ont tendance à suivre ce courant général de la société.

Pourtant, on pourrait faire remarquer que la réalité des dangers encourus par les jeunes sont en disproportion des craintes et des préjugés exprimés. Ainsi, il n’y a aucune commune mesure entre une fille de tout juste quinze ans rendue enceinte et un garçon du même âge, voire un peu plus jeune, mettons quatorze ans, qui a été masturbé par un adulte. Il se pourra que l’homme qui a séduit la fille de quinze ans, quelquefois à prix d’argent et en lui facilitant par la suite un avortement, s’en sortira élégamment, et même quelquefois se verra applaudi et envié par d’autres don Juan moins audacieux. En revanche l’adulte qui a profité du jeune garçon risquera d’être condamné et de purger une forte peine de prison avec toutes les conséquences désastreuses tant pour lui (perte de travail, de logement, d’honneur, etc.), que pour l’adolescent (angoisse, remontrances, enquêtes policières traumatisantes, etc.).

C’est difficilement acceptable. Certes, il est nécessaire, dans une société civilisée, qu’il y ait une législation et un code pénal afin d’assurer l’harmonie des rapports sociaux, et le législateur doit parfois trancher. Mais il ne reste pas moins vrai que les problèmes des uns ne se résolvent pas nécessairement par des inconvénients pour les autres.

J’ai connu des pédophiles qui ont purgé de longues peines dans des prisons françaises et étrangères. Aucun d’entre eux n’a changé la structure de sa personnalité à la suite d’une détention, aussi longue fût-elle. Au contraire, dans l’univers carcéral, avec la promiscuité des personnes ayant commis toutes sortes de délits, les pédophiles deviennent plutôt amers envers la société et apprennent d’autres contrefaçons. Je ne crois pas que la prison puisse apporter une solution à un problème à la fois psychologique et de société. Trop souvent d’ailleurs, le pédophile, à la suite de son incarcération, perdra son logement, son travail, sera rejeté par ses proches et ses amis, et se trouvera seul à sa libération, laissé pour compte, avec ses pulsions sexuelles restées au même point que lors de sa condamnation, sinon exacerbées par un manque durant une longue période, celle de son enfermement…

Je ne pense pas davantage qu’un traitement pharmaceutique soit un remède à une situation pédophilique. Plusieurs médecins français et étrangers ont suggéré qu’un traitement d’Androcur (acétate de cyprotérone1) pourrait modifier l’orientation sexuelle d’un pédophile. L’Androcur rend de grands services chez les personnes atteintes d’un cancer de la prostate, aux femmes affligées d’hirsutisme (femmes à barbe ou à moustache…), aux transsexuels qui désirent changer de sexe. Si ce médicament produit une sorte de castration chimique, il est bienvenu chez un transsexuel qui se sentira mieux dans sa peau à ne plus avoir d’érections, en revanche, il conduira le pédophile à la dépression et au suicide. Celui-ci, en effet, s’il perd ses réflexes sexuels, conserve au contraire les mêmes aspirations de tendresse et d’affection envers les enfants. Il se sentira un homme diminué, psychologiquement déchiré en lui-même.

Je suis donc tout à fait de l’avis de ceux qui pensent qu’il est inhumain de prescrire l’Androcur à un pédophile.

Les docteurs Charles Gellman et Gilbert Tordjman, dans leur livre L’Homme et son Plaisir (Éditions Londreys, Paris, 1987), abordent la pédophilie dans le chapitre « Les Paraphilies » (pp. 62 et sq.). Ils nous apprennent, à notre grande stupéfaction, qu’en Tchécoslovaquie, les pédophiles récidivistes sont purement et simplement castrés. Le Centre de Sexologie de Prague peut, paraît-il, se féliciter de présenter une statistique concernant quarante cas de pédophiles ainsi « traités », et dont aucun n’a récidivé ! Ces mêmes auteurs rapportent qu’en Allemagne, dans les pays nordiques et dans les pays de l’Est, il est possible de pratiquer des opérations de neurochirurgie. On détruit alors certaines parties du cerveau (stéréotaxie cérébrale). Intervention qui « se pratique surtout sur les sadiques sexuels » (sic ! ! !).

Il va sans dire que je reste perplexe devant de tels procédés qui ne peuvent s’inscrire dans mon horizon. Il s’agit bel et bien d’une mutilation physique… Comme en Iran on lapide une prostituée ou encore on coupe la main d’un voleur… À quelle époque vivons-nous ?

La psychothérapie et la psychanalyse ont souvent été proposées comme moyen de faire évoluer la tendance d’un pédophile vers des jeunes d’au moins quinze-seize ans, c’est-à-dire le faire entrer dans les limites légales. Mais, si la psychanalyse peut aider quelqu’un pour parvenir à l’épanouissement de sa personnalité, à la condition toutefois qu’il prenne cette analyse au sérieux et s’investisse réellement, en un sens « paie de sa personne », il ne reste pas moins que Freud lui-même ne croyait pas tellement qu’un changement de structure d’une personnalité ou d’orientation sexuelle puisse réussir automatiquement avec ce type de traitement. En fait, l’orientation sexuelle acquise dans les premières années de la vie change difficilement par la suite au cours de l’existence. Et l’expérience montre qu’une psychothérapie ou une psychanalyse entreprises dans le but de modifier radicalement une orientation sexuelle sont généralement vouées à l’échec. Ce qui ne veut cependant pas signifier que ces genres de traitements soient inutiles en ce qui concerne un pédophile. Celui-ci, en effet, peut, si nécessaire, trouver là un moyen de structurer sa personnalité, de se mieux connaître, de s’accepter, de se contrôler, de parvenir à plus de maturité, en un mot, d’être plus épanoui. Résultat qui ne serait déjà pas si mal ! Qui le contesterait ?

Autrement, quelle solution reste-t-il pour le pédophile ?

Il aura, évidemment, à contrôler son imagination et ses phantasmes. Comme tout un chacun, il aura à se comporter d’une manière responsable dans ses relations avec autrui. Comme tous, il lui faudra tenir compte des lois morales, des lois civiles et pénales, des impératifs de sa conscience. Il lui faudra trouver un modus vivendi acceptable pour lui et son entourage. Il n’est pas possible ici de donner des conseils faciles ou universels. Chaque cas est différent. Les pédophiles diffèrent entre eux autant que les hommes sont eux-mêmes différents et pourtant chacun unique en son genre face à sa propre destinée.

Joseph DOUCÉ,
psychologue-sexologue.
Paris, août 1987.




  1. L’acétate de cyprotérone est une hormone anti-masculine qui a été synthétisée en 1961 par les laboratoires Schering, en Allemagne, et commercialisée en France, sous le nom d’Androcur, depuis 1961 (voir également pages 206, 217 et 227).


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Table des matières
Page de titre. En exergue
Remerciements, par le pasteur Joseph Doucé
Sommaire
Préface, par le docteur Jacques Waynberg
Introduction, par le pasteur J. Doucé
    I. TÉMOIGNAGES
1) Fragments d’un discours impossible, par Hugo Marsan
2) Interview d’Antonio, par le pasteur J. Doucé
    II. JURIDIQUE
1) Les relations sexuelles des mineurs selon le droit français, par Pierre Lenoël
2) Pédophilie et responsabilité, par Anneke S. C. Visser
3) La pédophilie en Italie, par Piergiovanni Palminota
    III. Dr EDWARD BRONGERSMA
Biographie du docteur Edward Brongersma
a) Un autre regard
b) L’adieu
c) Un pionnier : Hajo Ortil
d) Le consentement de l’enfant
e) Les pédophiles et la Justice
f) Pornographie et législation
g) Le pédophile devant ses juges
h) Jeunesse et sexualité
i) Pères et fils
j) La situation aux Pays-Bas
    IV. PSYCHOLOGIE
La pédophilie : quelques réflexions, par le pasteur J. Doucé
    V. CHRISTIANISME ET PÉDOPHILIE
L’Église et les pédophiles, par le pasteur J. Doucé
Documents :
a) Lettre aux pasteurs de paroisse d’Églises protestantes néerlandophones de la Belgique, par le pasteur Thijs Weerstra
b) La pédophilie : menaçante ou… non comprise, par le pasteur Th. Weerstra
c) À propos de l’enfant, de la sexualité et de la Bible, par le pasteur Th. Weerstra
d) Groupe de travail œcuménique pédophile en Flandres
e) Le processus de l’autoacceptation
Vers une pastorale des pédophiles, par le pasteur Alje Klamer
    VI. LITTÉRATURE ET PÉDOPHILIE
Littérature et pédophilie, par Gérard Bach
    VII. ASPECTS DU MOUVEMENT PÉDOPHILE
par Maurice Balland, Érick Pontalley, etc.
Introduction. – I, Pays-Bas, Belgique, France
II, Allemagne. – III, Suisse. – IV, Angleterre. – V, Pays scandinaves. – VI, États-Unis
VII, Position de l’I.L.G.A. – VIII, Pedophile Information Pool
    VIII. BIBLIOGRAPHIE ET DOSSIER DE PRESSE
par Pierre Fontanié et Maurice Balland
A — F (Abu-Nuwas → Franco)
G — L (Gagnon → Louÿs)
M (Man → Musil)
N — Z (Nabokov → Ziegler)
    IX. ANNEXES
a) Index des noms cités
b) Chez le même éditeur
c) Information : C.C.L.
4e page de couverture

Voir aussi

Source

Articles connexes

Notes et références