La pédophilie en question (texte intégral) – 0-3
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Depuis le tout début de mon ministère pastoral parisien dans le cadre du Centre du Christ Libérateur, j’ai reçu des pédophiles, plusieurs centaines durant ces douze dernières années.
Extrêmement pragmatique, et désirant aider efficacement les personnes qui viennent me voir, je suis pourtant profondément frustré chaque fois que je rencontre un pédophile, ne pouvant l’aider vraiment dans le sens où il le voudrait, c’est-à-dire entrer en contact avec de jeunes enfants. Je ne puis simplement que l’écouter, sans préjugé ni complaisance, essayer de comprendre sa misère, sa souffrance, sa solitude, ses angoisses. Pour bon nombre d’entre eux, c’est déjà beaucoup, et souvent j’ai constaté que mon oreille attentive leur fut une aide précieuse. Pour d’autres, comme il m’était impossible de trouver un enfant disposé à satisfaire leur attente, ils s’en allaient découragés, très déçus quelquefois.
Au sein de notre association, nous avons organisé à plusieurs reprises des réunions d’information sur la pédophilie, et même invité des auteurs connus pour dédicacer leurs livres traitant de ce sujet. Mais, de loin, nous n’avons pu atteindre l’unanimité du C.C.L. sur cette question. Le fait d’endosser la responsabilité de la parution de ce recueil de textes et d’études ne veut pas dire que j’ai trouvé pour moi-même une réponse satisfaisante. Je dois avouer que je reste perplexe, et continue de m’interroger. Ce livre, un travail énorme, m’a aussi aidé à creuser ma propre pensée.
Néanmoins, au C.C.L., depuis plusieurs années, le premier dimanche de chaque mois, à dix-sept heures, se tient une réunion spécialement destinée aux personnes concernées par la pédophilie afin de leur permettre de s’exprimer en toute liberté sur leurs fantasmes, leurs angoisses, et d’avoir, au cours d’une discussion amicale, une réponse à leurs préoccupations d’ordre social et juridique. Dans ce groupe, la même règle que pour toutes les autres activités du C.C.L. est appliquée, à savoir qu’il n’est pas nécessaire d’être membre de notre association pour y participer, à la condition toutefois d’avoir dix-huit ans révolus comme cela est exigé pour toute personne franchissant le seuil de notre immeuble.
L’intérêt de ces réunions est tel que des étudiants, des médecins, des spécialistes sont venus dans le but de se documenter et d’essayer de comprendre la pédophilie à partir des témoignages des personnes éprouvant cette tendance.
Il a été étonnant de remarquer que certains spécialistes, en particulier des psychiatres, venus avec quelque prévention contre la pédophilie voire même contre l’homosexualité, s’en sont retournés sans avoir aucunement modifié leur jugement. Pourtant d’innombrables travaux scientifiques, tous aussi sérieux les uns que les autres, qui ont été faits récemment, devraient ouvrir la voie à une meilleure compréhension du phénomène de la sexualité, ainsi qu’à la disparition de préjugés d’ordre religieux ou traditionnel.
Pour moi, j’ai surtout été fortement interpellé par le célèbre cas jugé par le tribunal de Bobigny les 2 et 4 novembre 1981. Ce procès a duré deux jours, et j’y ai participé en qualité de témoin. La sentence fut très lourde : sept ans de prison ferme (alors que le détenu avait fait trois ans de prison préventive), et 400 000 francs d’indemnités à partager entre les parents des enfants concernés. À mon goût, j’ai trouvé cela exagéré. Sans doute la loi est sévère et veut, à raison, protéger le plus faible, en l’occurrence l’enfant. Il est vrai aussi que les faits étaient graves. Si je peux comprendre les sept ans de prison, je désapprouve toutefois la distribution d’argent aux parents des enfants et je trouve inadmissible de maintenir une personne trois ans en prison préventive avant de la faire passer en jugement, peu importe la nature du délit ou du crime reprochés.
Dans ce livre, vous trouverez un chapitre intitulé « La pédophilie, quelques réflexions ». La matière de cet article a été, au départ, le texte de mon témoignage à ce procès de Bobigny auquel je viens de faire allusion. Ces réflexions résument mes pensées et mes interrogations, à partir de mes expériences diverses comme pasteur et psychologue.
Mon témoignage au procès, pourtant exprimé de façon très nuancée, a été très diversement interprété. Les pédophiles, d’abord, ont trouvé que je les trahissais : après tant de confidences reçues, j’aurais dû les défendre d’une manière plus ferme, plus forte, plus résolue. Les autres, notamment les parents, les avocats, etc., présents lors de la plaidoirie, m’ont reproché sévèrement cette attitude de compréhension à l’endroit des pédophiles et de ne pas prendre suffisamment position à l’égard des enfants.
Lors de ce procès, je me suis rendu compte qu’il serait bon de faire une distinction entre plusieurs réalités, à savoir la prostitution, le proxénétisme et la pédophilie. Il m’a semblé que tout était mélangé, sinon amalgamé, du moins très confus dans l’esprit des gens, voire chez les hommes de loi. Sans doute avais-je remarqué chez ces derniers généralement un état d’esprit honnête, une probité évidente, un souci d’objectivité. Mais les juristes ne sont pas nécessairement des sociologues et encore moins de fins psychologues.
Mes observations et réflexions m’ont conduit à publier un livre traitant de la pédophilie. Je dis bien « publier », et non « écrire », car je n’ai pas moi-même rédigé tout cet ouvrage. J’en ai simplement assuré la rédaction finale après avoir sollicité des personnes qui, me semble-t-il, ont des choses intéressantes et très importantes à dire sur le sujet et qui proviennent d’horizons et de convictions différentes ainsi que le lecteur s’en rendra compte. J’aurais voulu aussi qu’un chapitre traite de la prostitution des enfants et de leurs clients. Fait significatif : je n’ai trouvé personne capable de traiter ce sujet dans l’esprit de cet ouvrage. Il faut, avant tout, présenter le problème qui nous préoccupe de façon réfléchie, et refuser de s’engager dans la provocation ou le scandale de bas étage comme cela apparaît trop souvent dans les médias. Il eût été pertinent qu’un chapitre souligne justement, comme je l’ai fait remarquer plus haut, la très grande différence qu’il faudrait établir entre le proxénétisme (l’usage lucratif des enfants), la prostitution (qui en est totalement distincte) et la pédophilie qui voudrait se démarquer de l’un comme de l’autre.
On se doit, si l’on possède un brin de dignité humaine, de rejeter le proxénétisme comme dégradant et inadmissible, ravalant l’être humain à l’état de marchandise (c’est un esclavage). De son côté, la prostitution, qui en soi n’est pas illégale, si elle s’exerce entre adultes consentants, peut être considérée comme un moindre mal inévitable dans une société où tant de gens ne parviennent pas à assumer une sexualité équilibrée.
Ces distinctions faites, le lecteur qui voudra poursuivre sa lecture découvrira bien ce qu’est la pédophilie en général. Je lui demande de soigneusement garder à l’esprit la distinction avancée ci-dessus. Car s’il persiste à entretenir la confusion, il se laissera impressionner par des arguments sans cesse ressassés et peu conformes à la réalité profonde des choses : à savoir que les enfants dans leurs relations avec des adultes, ceux-ci étant toujours supposés être des séducteurs, en tirent un intérêt matériel en plus de l’affection qui leur est apportée. Il me semble que, justement, le pédophile serait condamnable s’il n’apportait au jeune rien d’autre que de la sexualité, se comportant alors en pur égoïste, en consommateur d’enfants.
Il est certain que dans toute relation humaine, avec ou sans sexualité, il existe un intérêt réciproque. En tout cas, il me semble que je désapprouverais entièrement le pédophile qui ne chercherait rien d’autre chez le jeune que la tendresse et le sexe, sans lui apporter le modèle adulte que celui-ci attend dans cette relation. Je ferais remarquer que j’estime les relations entre adultes avec le même critère. Toutes ces relations, quels que soient les âges, sont de même ordre bien que présentant, évidemment, des degrés divers.
En tant que pasteur protestant, mon rôle est également de dénoncer et de combattre avec fermeté et vigueur toute forme d’égoïsme. D’ailleurs, où il y a égoïsme, il ne peut se trouver d’amour véritable. Je pense toutefois souvent à cette formule de la liturgie protestante :
« Je crois en Dieu, le Père tout-puissant, notre créateur,
Je crois en Jésus-Christ, son Fils unique, notre rédempteur,
Je crois au Saint-Esprit, notre consolateur,
Je crois au Dieu éternel, à sa sainteté qui me condamne, à son amour qui me pardonne, à sa grâce qui me régénère. »
Et puis j’ajouterai la célèbre prière des alcooliques anonymes :
« Mon Dieu, donne-moi la sérénité d’accepter les choses que je ne puis changer, le courage de changer les choses que je peux et la sagesse d’en connaître la différence ! »
Ceci vaut pour tout le monde, y compris les pédophiles !
Il y a quelques années, j’ai reçu un ancien prêtre catholique.[1] Il m’a longuement parlé de sa propre situation en termes à me faire venir les larmes aux yeux. À l’âge de soixante-sept ans, il connut une rude épreuve et se trouva en prison. Malgré une longue vie au service des autres et de sincère dévouement dans son état religieux, il fut tenu pour moins que rien par le simple fait d’avoir trop porté attention à des enfants. Devenu membre du C.C.L. et pour moi un précieux collaborateur, il a mis son expérience des relations adultes-enfants au service du groupe des pédophiles et m’a grandement aidé pour la rédaction du présent ouvrage. Nous n’avons pas toujours la même orientation de pensée, c’est évident, puisque nous n’avons pas la même formation théologique. S’il reconnaît que je ne puis aller aussi loin que lui et que je mets de nombreuses réserves à l’égard de la pédophilie, il sait également que je suis à la fois pasteur protestant et psychologue spécialisé en sexologie, sans tabou et ouvert à tout dialogue.
Comme je l’ai dit plus haut, j’ai sollicité bon nombre de personnes pour écrire un chapitre de ce livre. Beaucoup n’ont pas osé s’aventurer. Je les comprends, et ne leur en ferai aucun reproche. La plus grande difficulté, toutefois, fut de trouver des auteurs disponibles et capables d’exprimer de façon sereine un point de vue critique, même étant hostile à l’égard de la pédophilie. Nous regrettons de n’avoir pu présenter un éventail plus large encore d’opinions. Vous trouverez donc dans ce livre des textes émanant de personnes ayant des attitudes différentes au sujet de la pédophilie.
Il est évident que l’on ne pourra rester entièrement neutre à la lecture de ce livre, pas plus qu’il ne sera possible de se sentir en accord avec la totalité de son contenu. Il est inévitable que certains passages choqueront profondément les pédophiles eux-mêmes, alors que, au contraire, d’autres chapitres révolteront leurs détracteurs. Mais c’est intentionnel : l’originalité de cette étude est d’être une confrontation de points de vue contradictoires, mais honnêtes. Ce qui nous a animés, plus que la volonté de plaire aux uns ou aux autres, c’est une recherche objective.
Ainsi, le lecteur trouvera pratiquement tous les éléments nécessaires pour mener plus avant sa propre réflexion.
De mon côté, j’ai simplement veillé à ce que les différents courants de pensée soient exprimés avec qualité. On trouvera d’inévitables répétitions, comme dans tout ouvrage collectif dont les différents auteurs ne se connaissent guère, voire pas du tout, et n’ont pu se consulter auparavant. L’ouvrage, évidemment, apparaîtra parfois décousu, et l’agencement des chapitres quelque peu arbitraire. Ne voulant pas segmenter le livre de façon simpliste : thèse « pour », thèse « contre », nous avons alors choisi un ordre par sujets sans tenir compte des convictions personnelles des auteurs. Il ne reste pas moins que notre intention a été de faire en sorte que la question pédophile soit traitée sous tous les angles possibles.
Cependant, nous restons conscients que le dernier mot n’a pas été dit, tant s’en faut ! Le sera-t-il un jour ? Ce livre n’a donc pas la prétention d’être la somme sur la pédophilie. Je reconnais qu’il y a beaucoup de lacunes. À peine avais-je relu les épreuves lors de leur correction, que se profilait la perspective d’un autre ouvrage à mettre en chantier tant se pressaient de nouvelles questions et s’élargissait mon expérience du phénomène de la pédophilie. Ce livre donc se présente comme un point de départ, une amorce pour une recherche plus approfondie.
La bibliographie et le dossier de presse à la fin de l’ouvrage, rassemblés avec patience et compétence par MM. Pierre Fontanié et Maurice Balland, sont remarquables. Et pourtant, ils sont très incomplets. Si l’on voulait poursuivre ce travail, il ferait à lui seul la matière d’un volume. S’il est des personnes qui s’intéressent à cette recherche, elles trouveront là un point de départ.
Nous serons reconnaissants pour toute réaction, suggestion, critique provenant de tout horizon. Elles seront utiles pour la préparation d’une nouvelle édition. Toutefois, nous rappelons que nous voulons nous tenir à l’écart de tout militantisme ou parti-pris dans un sens ou dans un autre. Cela ne nous concerne pas.
Signalons que nous n’avons pas voulu faire allusion à diverses affaires célèbres, anciennes ou récentes, comme par exemple le procès du Coral. Ceci pour éviter de prendre fait et cause dans des cas précis, et surtout pour relancer la réflexion et le débat dans une atmosphère plus sereine afin de mieux faire avancer la compréhension de ce qu’est la pédophilie.
Note : Le terme pédophilie est récent, forgé du grec « παιδόφιλος », aimant des enfants, et, selon le Petit Robert, entré dans le vocabulaire français en 1969. D’après le Oxford English Dictionary (édition de 1982), le mot paedophilia se trouve pour la première fois en 1906 dans les écrits du sexologue Havelock Ellis (1859-1929). En 1951, on le retrouve dans la littérature médicale américaine : « Psycho-dramatic treatement of a pedophile ».
L’expression pédophilie érotique (traduite de l’allemand) a été proposée en 1906 par le Dr A. Forel, ainsi que le signale Claude Courouve dans son Vocabulaire de l’Homosexualité, livre où l’on trouve également diverses informations sur « les mots pour le dire » et leur historique.
Voir aussi
Source
- Joseph Doucé, La pédophilie en question, Paris, Lumière & Justice, 1988, p. 21-26.
Articles connexes
Notes et références
- ↑ Il s’agit du père Maurice Balland, victime d’une affaire de mœurs en 1981, devenu par la suite le bras droit du pasteur Doucé, animateur des réunions de pédophiles au C.C.L. et collaborateur essentiel de La pédophilie en question.