La pédophilie en question (texte intégral) – I-1
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Il parle d’un voyage qu’il a fait au Portugal, d’une ferme perdue loin de la vie touristique, de deux adolescents très jeunes qui l’ont aidé à monter sa tente. Il était seul. Le lendemain l’un des deux garçons lui a fait comprendre qu’il pouvait s’installer dans leur jardin. Il l’a présenté à sa famille, une famille très pauvre. Ils l’ont invité à partager leur repas. Il a fini par manger tous les jours avec eux. Le plus âgé des enfants s’est glissé un après-midi sous sa tente. Il raconte cela comme un immense bonheur, un miracle. À Paris il ne songe plus qu’à repartir. Il a envoyé aux deux garçons un ballon de football. Leur rêve, avait-il cru comprendre. Il reçoit des lettres remplies de cœurs, dans une langue qu’il ne sait pas lire. Il n’ose pas demander à quelqu’un de les traduire.
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Il vit seul. Il entretient avec ses parents des relations compliquées qui frôlent le masochisme. Il a cru pouvoir se confier à sa sœur. Elle a fait semblant de comprendre. Puis elle a tout répété aux parents. Ses parents, il les fuit puis il revient. Il voudrait l’impossible : qu’ils l’absolvent. Dans la maison de campagne, son neveu, un soir, demande à coucher avec lui. Quoi de plus simple si la suspicion n’avait définitivement encombré leurs vies… Papa et maman interdisent à l’enfant, sans explication, ce qui un an plus tôt ne posait aucun problème. Ils sont deux à ne pas comprendre.
Quand mettra-t-on le neveu en garde contre cet oncle dévoyé ? Le drame c’est que d’une enfance mal vécue, il tente d’exhumer un bonheur retardataire. Quand une mère ne peut même pas comprendre cela !
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Il a fait des études brillantes mais il n’a jamais osé affronter l’âge adulte. Il végète dans un misérable emploi sous-payé. Il dépense très peu d’argent. De quoi a-t-il besoin ? Les biens matériels le laissent indifférent. Ce qu’il veut ne s’achète pas et si par hasard on l’achète, ce n’est plus que la caricature du rêve. Son appartement se complaît au désordre des chambres d’enfant quand on ne les oblige pas à ranger les jouets ! Il aime bien faire la cuisine, des pâtes, des sucreries… Si jamais un enfant venait goûter ! Peu à peu il se détache de tout enrichissement culturel ou il ne lit que les livres qui traitent de son obsession. Intelligent certes mais tournant le dos à l’actualité, à la politique. Son monde est intemporel, éternellement jeune. Il traverse le temps habité des mêmes images. C’est sans doute pourquoi il ne s’offre que des voyages, vers des pays où il croit le temps arrêté. Une terre lointaine où ce tabou-là n’aurait pas eu à s’installer.
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Il a peu d’amis. Il ne se plaît qu’avec ceux qui partagent ses goûts. Pour ceux-là il a des trésors d’indulgence, alors qu’il les voit différents de lui, parfois cyniques, toujours rusés, habitués aux filatures que le désir décide et que n’épuisent jamais la fatigue ni l’échec. Dans la ville, ils ont des itinéraires d’eux seuls connus, et souvent ils s’habillent de grisaille pour se confondre avec les murs. Ces amis-là lui font peur. S’ils ne partageaient le même anathème, ils n’auraient rien à se dire. Il se prive ainsi de tout un environnement amical et affectif qu’en d’autres temps il privilégiait. Il a mis beaucoup de temps à m’accepter, moi qui ai mis encore plus de temps à saisir un peu ce qui envahit sa vie. Il m’a renié plusieurs fois « parce que je ne pouvais pas comprendre ». Et pourtant l’amour je savais ce que c’était. « Ce n’est pas la même chose. » J’ai fini par l’apprivoiser et il accepte que je lui montre les dangers et aussi les faux-fuyants de sa vie.
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Car il perd souvent sa lucidité. Il pense que seule la société est responsable de son isolement et de la réprobation qui l’entoure. Il ne veut pas voir qu’un plaisir se partage et qu’il n’est pas toujours sûr que l’autre soit investi comme il est dans la relation qu’il a tant de mal à instaurer. C’est vrai que les enfants sont sensuels mais, dans l’univers où ils vivent, peuvent-ils s’isoler dans le mensonge et assumer ce qu’ils savent banni ? Le mal n’est pas de jouir de son corps mais d’en avoir honte et d’être marqué de marginalisation. C’est pour cela que cet amour ne peut pas être nommé par les deux qui le partagent. L’enfant ne peut pas dire ce que la famille réprouve. Et quand je lui suggère que ce qu’ils peuvent connaître avec leurs petits copains n’a rien à voir avec ce qu’ils pressentent avec lui… il souffre. Et c’est là qu’est sa vraie solitude, quand il déchire par la lucidité le prosélytisme où il se réconfortait.
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Tant bien que mal, il arrive à vivre. Il a eu de très mauvais moments. Avec le temps, il a su poursuivre des relations au-delà de l’âge qui correspond à ses goûts. Il a appris tout l’aspect positif d’un amour qui donne sans chercher de réponse. Il commence à écrire autre chose que son histoire. Il perçoit une immense vérité : que tous les amours ont leurs ombres. Il apprend aussi en parlant avec moi — il fait quelques progrès dans l’écoute de vies qui ne ressemblent pas à la sienne — que tous comptes faits, quand il partage pleinement un amour à sa mesure, il est à l’abri de toutes les trahisons qui fissurent les amours dites normales et davantage aussi les « anormales » récemment tolérées. Les ennemis pour lui sont extérieurs mais de l’amour lui-même il n’a rien à dire sinon qu’il est total et parfait quand il peut le vivre.
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Il a vieilli. Ses cheveux gris lui ont fait définitivement abandonner cette allure d’enfant qu’il s’entêtait à garder comme un moyen plus efficace d’être en harmonie avec ceux qu’il aime.
Il a vieilli. Il arrive parfois à admettre que l’ostracisme dont il croyait tant souffrir a fait partie de la réussite profonde de sa vie intime. Car cet amour cloué à l’enfance, cet amour si rare à rencontrer, que deviendrait-il dans une société qui l’admettrait ? Est-ce qu’il pourrait alors régler une quête plus grave que les lois n’atteignent jamais, la quête des paradis perdus et la mélancolique saveur des destins solitaires et difficiles.
Voir aussi
Source
- Joseph Doucé, La pédophilie en question, Paris, Lumière & Justice, 1988, p. 27-28.